Une société ne se construit pas sur la haine, la peur ou le rejet.
Malgré les lois et les dispositifs mis en place pour soutenir la lutte antiraciste, nous continuons d’évoluer dans un monde sclérosé par le racisme.
Ce que nous pensons relégué au passé bouillonne encore dans tous les segments qui composent une société.
Il n'est pas facile de parler du racisme, parce que le racisme est à la fois, comme notion et comme théorie, une construction fumeuse et sans fondement réel et, comme réalité humaine et sociale, une force omniprésente.
Le racisme et les discriminations en hausse
À travers ses permanences sociale et juridique, le Mouvement contre le Racisme, l'Antisémitisme et la Xénophobie (MRAX) a accueilli et accompagné plus de 1500 personnes en 2019. Ce chiffre indique que de plus en plus de personnes sont touchées par le racisme et les discriminations, sous toutes leurs formes.
Le MRAX enregistre une hausse constante des signalements ces dernières années, avec un bond de 26 % en 2019. Les propos ou actes xénophobes apparaissent en premier lieu, le racisme anti-noir et l’islamophobie complétant le podium.
L’emploi et le logement sont des espaces soumis à une forte pression discriminatoire due à la ségrégation dont certaines couches de la population sont victimes. Le fossé entre le taux de chômage des personnes issues de l’immigration ou d’ascendance étrangère dévoile une inégalité de l’accès à l’emploi et au logement de ces derniers. Le profilage ethnique est une réalité qui est de plus en plus mise en lumière.
Les actes et propos racistes sont de plus en plus répandus, en particulier sur les réseaux sociaux. Nos politiques d’immigration se pensent davantage en termes de flux à gérer que de protection à accorder. Pourquoi ne parvenons-nous pas à endiguer cette idéologie, qui se matérialise dans l’immédiateté de nos quotidiens, mais se fomente depuis le xve siècle, avec l’esclavagisme, le colonialisme, le nazisme? D’ailleurs, avons-nous hérité du racisme? N’est-ce qu’une question de préjugés, de stéréotypes, de peurs? S’agit-il d’une question individuelle, ou collective? Est-ce que les actes de racisme et de discrimination peuvent être considérés comme des petits grains de sable dans nos rouages, des phénomènes marginaux?
Une question de dominations
Dans sa conférence gesticule Mes identités nationales, Pablo Seban explique: "Il y a plusieurs définitions du racisme. La première, c'est cette théorie scientifique développée au 18è - 19è siècle, la théorie des races, qui disait que l'on pouvait lire dans la biologie humaine, l'anatomie, la supériorité de certaines races. L'histoire a montré que cette théorie a été construite pour justifier les massacres et l'esclavage des Amérindiens et des noirs, on a pu démontrer que la notion de race au sens biologique n’avait aucun sens."
Le racisme est la règle, pas l'exception
Et qu'en est-il actuellement? Pablo Seban poursuit "Le racisme d'aujourd'hui est vu essentiellement comme une histoire de préjugés, de haine, quelque chose qui se passe dans la tête, alors qu'il est dans les faits, avec un système social discriminant, inégalitaire. Ce système est organisé de telle sorte qu’en fonction de sa couleur de peau, de ses origines, de ses habitudes culturelles ou religieuses, on va avoir moins le droit de prendre la parole, moins le droit aux places de pouvoir, aux postes à responsabilité, à la sécurité, à ne pas subir de contrôle au faciès, etc. Le racisme, c’est d’abord des discriminations dans des actes."
Georges Floyd, de l’indignation à l’action
Le meurtre de George Floyd par un policier blanc aux États-Unis en mai 2020 a accéléré la prise de conscience de l’ampleur du racisme en Belgique. Partout, des manifestants jettent des ponts entre cet acte insoutenable qui a pris place dans un pays, un contexte, une société spécifiques, et les violences et discriminations dont les populations noires, et racisées en général, sont victimes dans leur propre pays. C’est ce qu’on constate en Belgique depuis la manifestation du 7 juin dernier, et les appels de plus en plus pressants à mener un réel travail sur notre mémoire coloniale. Les militants comme les chercheurs insistent sur la prise en compte d’un racisme "structurel" ou "systémique" » qui dépasse quelques individus isolés.
Vers une société antiraciste?
La plupart des gens se considèrent non racistes. Et c’est tant mieux! Pourrions-nous, en tant qu’individu d’abord, en collectivité ensuite, aller un cran plus loin? S’informer, déconstruire des savoirs que l’on pensait immuables, c’est déjà déplacer son regard, c’est travailler sur ses biais conscients et inconscients. Cela ne permettra sans doute pas de renverser les rapports de domi- nation, mais ce sera peut-être une façon de briser les liens tacites qui nous conduisent à exclure, discriminer ou à ne pas prendre en considération la parole des personnes racisées (personne touchée par le racisme, Dictionnaire Le Robert, 2019).
Sources:
Rapport activités 2019 MRAX // Le Soir, Le "racisme" de Belgique à l’épreuve des faits, 16/06/2020.
Interview
"Le racisme est un système"
Rencontre avec Virginie Fyon, dont l’ASBL La Belle Diversité coordonne La Face B, un tout nouveau collectif actif dans la région verviétoise, animé par l’envie de propager un antiracisme concret et politique. Il rassemble des citoyen.ne.s de tous les horizons, sans discrimination. Dans La Face B, pas de spécialistes, mais une expertise qui se construit collectivement.
Comment est né La Face B?
C’est né de réunions que l’on appelle Plan Local d’Intégration, coordonnées par le CRVI (Centre Régional de Verviers pour l'Intégration), où l’idée était de mener un état des lieux de ce qui était fait dans la région en matière d'intégration, et éventuellement de faire des propositions d'actions.
Lors de discussions, nous avons réalisé que le fait d'avoir la possibilité et le temps de s'outiller sur la question du racisme n'empêche pas de se sentir démunis face à certains propos. Nous avons fait le constat d’un racisme très insidieux, présent à la fois sur les réseaux sociaux entre autres, avec une banalisation de discours exécrables, mais aussi parfois plus proche de nous, chez des gens que l’on côtoie, avec lesquels on partage des valeurs communes habituellement.
Il y avait donc ce sentiment d’impuissance, quand le propos raciste est difficile à identifier, mais qu’il procure un malaise, sans pouvoir mettre des mots dessus. L’idée était de pouvoir se renforcer les uns les autres, de partager des ressources et de créer un collectif associatif et citoyen qui se donnerait l’objectif de ne rien laisser passer.
Quel est votre angle de travail?
Nous avons la volonté de nous focaliser sur ce que l’on a nommé la "face b", car les enjeux se jouent dans le racisme politique, systémique, qui traverse toute la société. Ce n’était pas un angle qui était présent dès le départ, il s’est imposé au fil d'une première année de réflexions agrémentée de lectures, de rencontres avec des intervenants, des experts, etc.
Qu’est-ce que cela signifie dans votre action concrètement?
Il y a deux façons de voir le racisme, qui ne sont pas en opposition totale, mais qui sont difficiles à travailler conjointement. Il y a cette vision qui consiste à dire que tout démarre des préjugés. La Face B se positionne plutôt sur la seconde vision, plus matérielle, qui soutient l’idée qu’il y a des dominations dans nos sociétés et que l’idéologie raciste permet de voir ces dominations persister. Avec ce positionnement, travailler uniquement sur les relations interpersonnelles serait inefficace, comme organiser des rencontres interculturelles pour faire tomber les a priori. Car tant qu’il y a la domination à théoriser, le racisme mutera s’il le faut. Après, lire les choses en termes de système peut entraîner un autre sentiment d’impuissance, à savoir, par quel bout prendre le problème?
Justement, comment?
Un des aspects, c’est au minimum de propager cette vision-là, par des conférences, des textes que l’on écrirait, des appels à nous rejoindre. Cette vision a une longueur d’avance en France, on commence à en entendre parler en Belgique, mais c’est très récent. En faisant nos recherches, on découvre de plus en plus de collectifs qui ont comme cheval de bataille la décolonisation de l’espace public ou la lutte contre l’islamophobie, je trouve cela positif.
Notre défi maintenant, c’est d’identifier les aspects que nous allons pointer et comment. Jusque-là, nous avons pris le temps de nous outiller, de nous définir, maintenant, il faut passer à la lumière!
Au niveau local, y a-t-il déjà des aspects qui vous questionnent?
Nous nous questionnons par exemple sur la politique wallonne d’intégration. Quand la Wallonie se dote d’un parcours d’accueil des primo-arrivants, OK, mais quand 1 ou 2 ans plus tard, cela devient un parcours d’intégration, on sent que c’est pour viser un certain électorat. Il y a derrière l’idée que ça doit être obligatoire sous peine de sanctions administratives, alors que tout le secteur de l’intégration s’accorde sur le fait qu’il y avait des listes d’attente, qu’il n’y avait pas assez de place.
Quel était l’intérêt de rendre cela obligatoire? Le point positif, c’est que cela a obligé la Région à refinancer le secteur, pour assurer des places à tout le monde, mais quels dégâts cela aura-t-il créés en termes de représentations dans l’esprit des gens? Cela sous-entend que les personnes qui migrent n’auraient pas envie de suivre des cours de français ou d’avoir des informations sur le pays dans lequel elles arrivent, ce qui est faux.
Quel est votre idéal à atteindre avec La Face B?
L’exemple cité au-dessus, c’est le type de situation que La Face B souhaite mettre en lumière, gratter la surface et décrypter ce qui se joue. Notre volonté est de pouvoir nous exprimer au nom du collectif, pour que cette expression puisse servir à d’autres dans leurs réflexions, ou être reprise comme contre-argumentaires. Histoire de pouvoir donner son avis et ne plus avoir à se dire "oh, j’aurais dû répondre ça!".
Nous voulons également rendre visible des paroles qui le sont moins que d’autres, même si elles n’émanent pas forcément du collectif. Il y a l’idée aussi de créer des petits bastions, de permettre à d’autres groupes de se créer ailleurs, de faire un cheminement sur ces questions avec notre appui, nos expériences, par le biais d’animations par exemple.
Envie de rejoindre La Face B?
Contactez La Belle Diversité : 0496 87 60 43 – labellediversité@hotmail.com
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Matière à réflexion
La mécanique raciste
Tout le monde, ou presque, se dit anti-raciste. Pourtant, les discriminations se perpétuent en toute impunité, dans des proportions massives. La Mécanique raciste, du militant et philosophe antiraciste Pierre Tevanian, met à nu cette remarquable contradiction avec entre autres la théorie présentée ci-après.
Virginie Fyon explique : "Les différentes étapes nous permettent de vivre avec les inégalités, les discriminations, qui sont soit un peu justifiées, soit rendues invisibles. Cela passe par créer un "autre" et de l’enfermer dans un critère, qui se transforme en stigmate". Cette mécanique se passe en plusieurs étapes :
1. Différenciation : construction d’une différence sur base d’un critère choisi (couleur de peau, culture, religion...)
2. Péjoration : transformation de cette différence en un marqueur d’infériorité, en stigmate : "ils ne sont pas capables" et/ou "ils sont dangereux".
3. Essentialisation, homogénéisation, altérisation : réduire des personnes aux identités multiples à un seul aspect de leur identité ("noir", "arabe", "femme"...), présentée alors comme naturelle; les définir comme "étant tous pareils ("les noirs", "les Arabes"...) et comme n’étant pas "comme nous".
4. Justification, invisibilisation des inégalités de droits et/ou de traitement : "Ils "méritent" d’être discriminés, exclus ou violentés puisqu’ils sont inaptes ou dangereux".
Ces 4 étapes conduisent à des faits, actes racistes, discriminations.
Illustration: Odile Brée.