En mars débutera la 9e édition du Festival Interculturalité. Cet événement rassemble une dizaine de partenaires du tissu associatif disonais et verviétois et a pour but d’explorer différentes facettes de l’antiracisme et de l’interculturalité à travers plusieurs événements.

Dans ce cadre sera proposée à Verviers, du 3 au 25 mars l’exposition "Notre Congo / Onze Kongo, la propagande coloniale dévoilée".

"Notre Congo / Onze Kongo" permet d’appréhender, à travers les images variées de l’iconographie coloniale présentées dans leur format original, les mythes, les valeurs et les préjugés produits par l’entreprise coloniale.

La propagande coloniale a infusé les esprits de générations entières en Belgique et au Congo. Elle a été pour beaucoup et pendant trop longtemps la seule perception et représentation de ce que pouvait être le Congo, et plus largement l’Afrique, à défaut de mieux.



La simplification de la réalité a forgé de nombreux esprits. Cette exposition tente donc de décrypter ces dogmes longtemps indiscutables. Avec une ultime question, au-delà de l’étonnement, de l’indignation voire de l’amusement : comment déjouer les pièges de tous les miroirs truqués, séducteurs ou déformants? Que reste-t‑il de ces représentations à caractère raciste qui ont circulé pendant plus de 80 ans et ont imprégné l’inconscient collectif lié à la colonisation?



Interview
"Il n'y a pas d'aspects positifs à la colonisation"



Rencontre avec Julien Truddaïu, co-auteur de l’ouvrage Notre Congo / Onze Kongo avec Elikia M’Bokolo, historien reconnu qui travaille à produire une histoire du continent débarrassée des stéréotypes liés à l’esclavage ou à la période coloniale. Julien Truddaïu a également été chef de projet pour l’exposition avec Coopération Éducation Culture (CEC).

Présence: L’exposition "Notre Congo / Onze Kongo" décrypte entre autres des images liées à la propagande coloniale belge. Comment pourrait-on définir la propagande?

Julien Truddaïu: La propagande, c’est une action, étatique ou privée, ayant pour but de faire pencher l’opinion publique dans le sens voulu. Lorsque Léopold II, roi des Belges, se voit attribuer en 1885 le Congo comme "propriété personnelle", la colonisation n’intéresse qu’une poignée de personnes qui ont bien l’intention de s’enrichir. La majeure partie de la population n’est donc pas du tout acquise à la cause coloniale, il a fallu travailler l’opinion publique pendant près de 20 ans.

Ce qu’on appelait propagande pourrait être qualifié de communication politique aujourd’hui.

Quelles sont les caractéristiques de cette propagande coloniale?

Entre 1870 et le début des années 80, les messages et les discours seront diffusés de façon systématique, et finiront par devenir des vérités historiques. Par exemple, on a seriné aux Belges que les Congolais·es, les Burundais·es, les Rwandais·es ont été "sauvé·es" par les missionnaires belges, que la colonisation a permis l’éducation, la construction d’infrastructures, de routes, d’hôpitaux.

D’une part, ces infrastructures ont été érigées par les Congolais·es et beaucoup y ont trouvé la mort. D’autre part, ces liaisons n’avaient pas pour but d’améliorer le transport des personnes sur place, mais bien d’acheminer les matières premières. La Belgique a exigé que les personnes colonisées se soumettent aux standards occidentaux. Cela implique la négation d’un certain nombre de religions présentes sur le territoire congolais, burundais et rwandais, qui ont été niées, piétinées. Des objets religieux ou une influence politique et sociale ont été confisqués, et acheminés entre autres vers le musée de Tervuren, mais ce n’est pas le seul.

Quels sont les stéréotypes dans la propagande coloniale belge? Quelle résonance ont-ils encore aujourd’hui?

L’un des premiers mensonges de la propagande coloniale est d’avoir fait croire aux Belges et parfois même aux personnes colonisées elles-mêmes qu’elles n’avaient pas d’histoire. Il y a une réelle ignorance des influences du continent africain sur le monde bien avant la colonisation.

Par exemple, on sait désormais que les philosophies grecques et romaines s’inspirent de penseurs du continent africain. Cette ignorance pose un certain nombre de problèmes, encore aujourd’hui. À l’école, nos enfants ne savent que très peu de choses sur cette histoire. Le second, c’est bien évidemment la classification raciale. En fonction de la couleur de peau ou d’attributs culturels différents, ce classement hiérarchise, chosifie les gens, leur attribue un certain nombre de caractéristiques en vue de les dominer.

Au Congo, la mission coloniale a divisé le pays en plusieurs "ethnies" ou "tribus", qui sont des termes que l’on entend encore beaucoup et qui ne veulent rien dire scientifiquement. On ne dit par exemple jamais que les Gilles de Binche ou les Flamands constituent une des "tribus belges".

Les africain·es ont été présenté·es comme des personnes incapables de se sortir d’une situation d’esclavage, ce fut l’alibi principal de la colonisation, d’abord léopoldienne puis étatique. C’est en vertu de cette volonté de "libérer" les Congolais·es que la Belgique s’est octroyé le droit de prendre possession d’un territoire et d’en exploiter les ressources.

Cette image ressurgit actuellement, dans les relations entretenues avec le continent via certaines interventions d’ONG et dans les relations de coopération. Je ne veux pas caricaturer, ce n’est pas toujours le cas, mais il y a quand même énormément de messages d’ONG qui, sans contextualisation, induisent une incapacité des habitant·es du continent africain. Il y a l’exemple du virus Ebola, qui dans l’imaginaire collectif pourrait concerner l’entièreté de l’Afrique, or, il s’agit en fait de 5-6 pays et la majorité d’entre eux s’en sont sortis sans aide extérieure.

J’entends encore régulièrement que certaines "tribus" d’Afrique seraient anthropophages. Ou que "l’Africain" serait polygame, peu fiable, frivole… Ces stéréotypes ne sortent pas de nulle part, on retrouve systématiquement ces éléments dans les représentations coloniales.

Y a-t-il des événements, personnalités qui participent à fissurer ces visions stéréotypées ou à les interroger?

Un autre mensonge de la colonisation est de dire qu’elle s’est passée sans heurts, alors qu’en réalité les résistances ont été permanentes. On a présenté l’Indépendance du Congo comme une permission donnée par l’État belge, le sous-entendu est lourd. Dans son discours du 30 juin 1960, Patrice Emery Lumumba (NDLR : premier Premier ministre congolais) fait la synthèse des luttes menées par les Congolais·es.

Simon Kimbangu est une autre figure de la résistance malheureusement peu connue (NDLR : considéré comme précurseur, il a dès 1921 fustigé la politique coloniale belge avec un discours non violent).

Beaucoup de personnes au Congo sont encore légataires de ces résistances, tout comme de nombreux afrodescendant·es en Belgique. C’est en faisant connaître l’histoire et ses aspérités que nous pourrons mieux comprendre ce qui se passe encore aujourd’hui.


"Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous étions des Nègres.": extrait du discours du 30 juin 1960 de Patrice Lumumba, premier Premier ministre Congolais, représenté ici par l’artiste Tshibumba Kanda-Matulu. Coll. Étienne Bol.

D’où vient le titre du livre, et de l’exposition?

"Notre Congo / Onze Kongo" est le titre de plusieurs bouquins de propagande coloniale, comme si le Congo était une province de plus de la Belgique. Sur l’affiche, nous avons rayé "notre" remplacé en rouge par "votre", pour renvoyer l’idée que cette vision du Congo, nous ne la partageons pas.

Au moment de la sortie de l’ouvrage, il y avait beaucoup de débats sur les noms de rue, les statues qui rendent encore honneur à ce passé. L’idée n’est pas de changer l’histoire, elle ne bougera pas. En revanche, les mémoires s’expriment dans l’espace public. Ces noms de rue, ces inaugurations de monuments sont des actes politiques, décidés dans des circuits démocratiques. On devrait désormais pouvoir débattre de ces choix dans les cénacles, avec les élus, pour faire vivre le débat.

À Bruxelles a été inauguré le square Lumumba, il est le résultat d’un rééquilibrage dans l’espace public. Ce square est devenu un lieu mémoriel vis-à-vis de l’histoire coloniale comme il en existe peu dans la capitale. Le temps est venu d’investir l’espace d’autres narratifs et d’autres symboles. Ce travail de conscientisation n’est ni seulement une histoire d’afrodescendant·es, ni une question communautariste, comme certain·es voudraient le faire croire. Beaucoup de personnes se sentent concernées par ces questions.



Belgique
Passé colonial, ni excuse ni réparation



Une commission du Parlement fédéral sur le passé colonial, créée dans la foulée du mouvement Black Lives Matter en 2020, a achevé ses travaux en décembre dernier. La commission se penchait depuis près de deux ans et demi sur les agissements de la Belgique dans ses trois anciennes colonies "et les suites qu’il convient d’y réserver".

Sont concernés le Congo – actuelle RDC –, le Rwanda et le Burundi, devenus indépendants entre 1960 et 1962. Julien Truddaïu explique "la mise en place de cette commission ne résulte pas d’une volonté politique, mais du travail phénoménal mené par un certain nombre d’associations, petites et grandes. L’objectif de la commission était assez ambitieux, il s’agissait d’une part de faire la synthèse de ce qu’on connaît sur la colonisation au niveau scientifique et mémoriel, d’analyser les angles morts de cette narration, mais aussi les impacts culturels et politiques en termes de racisme et de discriminations."

Fin décembre 2022 s’est tenue l’ultime réunion de cette commission, censée aboutir à une série de recommandations formulées à la Chambre des députés. Mais faute de consensus au sein de la majorité sur des excuses à formuler aux anciennes colonies, les 128 recommandations rédigées par Wouter De Vriendt (Ecolo-Groen) n’ont été soumises à aucun vote.

Julien Truddaïu ne partage pas tout à fait le constat d’échec relayé dans la presse: "Il faut être lucide sur le rapport de force qui règne à la chambre entre celles et ceux qui souhaitent voir avancer la société sur un certain nombre de sujets et d’autres pas. Or, on ne fait pas de compromis politique avec l’histoire et les mémoires, sinon on commet une faute politique et morale. Ce travail aura au moins permis de mettre en lumière le fait qu’il n’est plus possible de dire honnêtement et intellectuellement que la colonisation belge a eu des aspects positifs, beaucoup de personnes en ont pris conscience et c’est une première manche mémorielle gagnée."

Fait notable pointé par Monsieur Truddaïu, alors que la Belgique refuse de s’excuser publiquement pour les crimes coloniaux, aux Pays-Bas, "un pays plutôt bien ancré dans sa colonialité", il est décidé non seulement de s’excuser, mais aussi d’accéder à un fond de réparation de 200 millions d’euros. "Ces mandataires politiques belges qui refusent de s’excuser passent pour des personnes d’un autre temps, ils ont 20 ans de retard!"

Sources:
"Passé colonial de la Belgique: faute de consensus, la commission parlementaire se solde par un échec", RTBF, Victor de Thier, 19/12/2022 "Commission parlementaire sur le passé colonial de la Belgique: un accord aurait été trouvé puis torpillé de l’extérieur", La Libre, 19/12/2022



Analyse
Que nous dit cette image?

Julien Truddaïu analyse l’une des images présentées dans l’ouvrage et dans l’exposition.


"Journée coloniale sous le haut patronage de S.M. le Roi" - Affiche, Gusto, éd. Baudry Cocu / Mairesse- Quaregnon, 4 juillet 1926 – Coll. CEC

"Nous avons au centre une personne blanche, la main posée sur l’épaule d’une personne noire, qui évoque à elle seule un paternalisme latent. Il y a un déséquilibre certain, ce blanc seul montre du doigt le “progrès” (ou ce qui est considéré occidentalement comme tel), l’avion, le chemin de fer, le bateau… à des personnes noires, présentées comme ignorantes. Ce déséquilibre numéraire est une constante dans les représentations coloniales. La personne blanche peut être identifiée comme belge et colonisatrice, là où les personnes noires sont des anonymes complets et le resteront jusqu’à la fin des temps. La propagande a fortifié, voire créé l’identité nationale belge, qui n’est rien au début de la colonisation. Cette image et bien d’autres sont une façon d’illustrer “l’oeuvre de la Belgique”. La réception de ces images aura un fort impact sur les représentations."