Les espaces publics sont au coeur de nos villes, de nos villages, de nos quartiers. Ils sont des espaces que nous utilisons toutes et tous.
Dans l’interview ci-après, nous nous intéresserons à ce qui permet de se sentir bien chez soi, ou plutôt autour de chez soi.
Nous parlerons des lieux qui sont ou que nous faisons nôtres, de l’importance de se sentir connecté·es à nos rues, nos places, nos talus, nos voisin·es.
Ce dossier est également l’occasion de mettre en valeur Renoupré et son récent comité de quartier, dans lequel des citoyen·nes sont résolument engagé·es à transformer, bousculer ce que l’on considère comme immuable.
De grandes envies à petites échelles qui pourraient en inspirer d’autres!
Interview
"Aménager un territoire, c’est créer un système où tous les éléments sont connectés"
Rencontre avec Benjamin Robinson, architecte au sein du bureau Artau, qui développe des projets tels que l’écoquartier Rives Ardentes à Liège. La durabilité est au coeur des préoccupations d’Artau, dont l’ambition est de permettre à l’architecture de devenir un·e acteur ·trice de la transition.
Présence : En termes d’architecture et d’aménagement, qu’est-ce qui participe au bon vivre dans et / ou autour de nos lieux de vie?
Benjamin Robinson : Il y a beaucoup d’aspects à prendre en compte, mais je dirais qu’il est important de ne pas voir ces aspects comme des entités séparées. Aménager un espace, c’est recréer un système où tous les éléments sont en lien les uns avec les autres dans un cercle vertueux. Ce qui m’importe le plus, c’est la question de l’espace public, car il y a énormément à faire et à transformer pour le réenchanter.
Dans nos projets, on essaie toujours de réfléchir d’abord à ce qu’on va faire du vide, pour le mettre au service de l’ensemble des citoyen·nes. Il n’y a pas si longtemps, il y avait une place du village, ou une place de l’église, qui avait à la fois un rôle symbolique et un rôle social : on y allait pour acheter l’alimentation, c’était un endroit de jeu pour les enfants, on y trouvait de la végétation, on pouvait s’y rassembler, accéder à la culture… toutes les sphères de la cité se déroulaient dans un espace commun.
Avec l’avènement du mouvement moderne à l’entre-deuxguerres, nos espaces sont avant tout devenus fonctionnels, les villes ont été divisées avec des quartiers pour produire, des quartiers pour habiter, pour enseigner, etc. Cet aménagement du territoire est lié à l’arrivée de la voiture individuelle, car cette organisation ne peut fonctionner que si l’on a la possibilité de se déplacer rapidement entre ces lieux. Cela a complètement bouleversé la notion sociale et environnementale du territoire.
Outre la notion d’espace public, les questions environnementales sont évidemment fondamentales : les rôles écosystémiques par rapport à l’eau, la végétation, la qualité des sols… en somme le rapport au vivant.
Ne pas penser à ces aspects environnementaux donne malheureusement lieu à des catastrophes, comme ce fut le cas lors des inondations en juillet 2021.
Si les inondations nous ont meurtries dans notre chair, elles sont aussi une opportunité de comprendre pourquoi nous en sommes arrivé·es là. L’industrie lainière, en urbanisant le fond de la vallée, avec des bâtiments très proches de la rivière, ne laisse pas à l’eau la possibilité de prendre de la place en cas de crue. On a imperméabilisé l’espace public pour faciliter la motorisation, l’entretien, ce qui empêche l’eau d’entrer dans la nappe phréatique, augmentant au passage les sécheresses, les inondations… Ces exemples et d’autres ont impacté négativement le rôle d’éponge nécessaire à la fagne.
Ces réflexions sont aussi valables pour l’agriculture, les immenses champs de culture du maïs font que l’eau rentre plus difficilement, car il y a moins de diversité d’essences plantées. Les petites parcelles agricoles ont un rôle climatique et d’infiltration de l’eau, tout cela participe à un même grand système de notre bassin de la Vesdre.
Il est important de réamorcer des logiques d’écosystèmes dans l’aménagement du territoire.
Aujourd’hui, certain·es urbanistes et architectes parlent "d’espace ouvert" plutôt que "d’espace public".
Effectivement, si l’on veut être sémantiquement plus correct, avant l’espace public, il y a les espaces ouverts dans lesquels coexistent différentes variétés d’espaces publics. L’aménagement du territoire devient un domaine pluridisciplinaire, car des questions sociologiques de vivre-ensemble se posent.
Même des espaces privatifs peuvent être collectifs à plusieurs égards, selon la manière de les aménager. Je me suis par exemple beaucoup intéressé au "frontage" ou "jardin d’accueil". En Hollande ou dans les pays nordiques, on peut voir souvent les petits jardins devant les maisons aménagés avec un banc, un perron… une série d’attentions qui modifient la relation avec l’espace rue, qui donnent un message aux personnes qui circulent. Cela peut paraître anodin, mais cela a un impact sur le ressenti.
Comment impliquer les populations en tant qu’actrices et acteurs des espaces qui nous entourent?
Pourquoi les gens s’approprient- ils ou ne s’approprient-ils pas un espace? C’est presque du domaine de la sociologie. À partir du moment où l’ensemble des riverain·es le font, cela fait partie de leur intimité, de leur domesticité.
Je pense qu’il est important d’ouvrir les possibles, de présenter des exemples de projets de ce que peut être un espace rue, car souvent, on se limite à ce qu’on a pu observer autour de soi, alors que d’autres aménagements existent, sans être forcément plus chers. Pour nous qui travaillons dans l’aménagement du territoire avec des convictions écologiques, on peut avoir de la difficulté à se faire entendre, simplement car notre imaginaire n’est pas le même que celui de notre interlocuteur ·trice.
C’est un véritable rôle pédagogique, qui manque également au sein des administrations. Développer les imaginaires, inventer de nouveaux récits, cela peut éviter de proposer des installations vues ailleurs, qui ne sont pas toujours adaptées à d’autres réalités.
Vous avez d’ailleurs mené une expérience en ce sens dans votre propre quartier.
Dans mon quartier, une voirie a dû être expropriée pour des raisons techniques. Elle allait être rénovée. La voirie devenant publique, il fallait réinventer cet espace rue. C’était l’occasion de ne pas faire comme d’habitude et de mener un petit laboratoire démocratique entre voisin·es. Il y a eu plusieurs réunions, on n’était pas forcément toujours d’accord, il y avait aussi la commune qui avait ses exigences et son cahier des charges déjà lancé. Nous sommes arrivé·es à un compromis, qui était de faire de cet espace une zone résidentielle, un endroit partagé pour que les enfants puissent jouer, pour les piétons, pour que les gens du quartier puissent se rencontrer, boire un verre.
Des bacs à fleurs ont été installés, là aussi, pas forcément ceux que j’aurais imaginé, mais nous avons fait le choix de les gérer nous-mêmes. Nous avons planté avec les enfants du quartier. D’un point de vue émotionnel, c’est très fort, cela encourage tout le monde à en prendre soin, pour respecter l’investissement des enfants.
J’y jardine moi-même régulièrement. Cela étonne certains passants, je pense que c’est juste un autre type de posture, moins individualiste, pour participer à la convivialité de la rue.
La configuration des lieux ne se prête pas vraiment à un espace partagé, on aurait probablement souhaité plus d’espace, une végétalisation plus importante, mais cela a le mérite d’être une expérience où tout le monde a interagi, le résultat est probablement plus intéressant que si personne n’avait rien dit.
"Chèr·e moi du futur", cher quartier du futur…
Dessins, coloriages, collages et tampons donnent de nouvelles couleurs à quelques vues anciennes de Dison sur cartes postales. Au verso, les enfants étaient invités à adresser un mot, un souhait, à leur "moi du futur". – Carte réalisée lors d’animations au Solidaris Day du 20 août 2023.
Vie locale
Renoupré et son comité de quartier
"On est là, on existe, on fait partie de Dison!"
Renoupré, comment y habite-t-on? Quels sont les manques, les atouts, les espoirs pour l’avenir?
Durement touché durant les inondations, ce quartier est digne d’intérêt à plus d’un titre. Comme l’indique Damien Alleman, animateur au CIEP Verviers ayant le projet de fédérer les habitant·es via le comité de quartier: "Renoupré a un statut particulier, il fait partie de la commune de Dison, mais en est complètement décentré physiquement. Par la Vesdre d’une part qui le sépare de la nationale qui va de Verviers à Dolhain, et puis par toute une série de bois qui se trouvent aux alentours, les bois de la Cité de l’espoir et les bois qui remontent sur le village d’Andrimont".
Si sa position géographique l’isole de fait, l’histoire joue également un rôle, Damien Alleman poursuit: "Le quartier vivait notamment grâce à l’industrie lainière. Lorsqu’elle s’est effondrée, cela a grandement affecté le développement économique du territoire. Il n’y a désormais plus aucun commerce à Renoupré. Il y a eu des transformations dans les anciens bâtiments de l’industrie qui longent la Vesdre, d’énormes volumes de bâtiments qui sont plus ou moins vides ou plus ou moins réinvestis. En termes d’activité socio-économique, cela reste assez faible".
Depuis plus de deux ans maintenant, un groupe de citoyen·nes se réunit régulièrement pour mener des actions ludiques et récréatives d’une part, et d’autre part faire valoir des revendications sur le quartier. Des revendications qui portent sur une série de sujets tels que la mobilité, la sécurité, la propreté… Et la rénovation d’une plaine de jeux.
Damien Alleman, animateur au CIEP Verviers, sur le terrain à Renoupré.
Recréer un espace public et collectif
Les animations proposées par le comité se déroulent sur la petite plaine de jeux qui borde l’église, seul espace possible de rencontres dans le quartier. Un espace qui demande toutefois bon nombre d’aménagements pour retrouver sa convivialité. La revalorisation de la plaine de jeux est un des enjeux cruciaux auquel travaille le comité. "La plaine de jeux a un bel espace tranquille, il n’y a pas de circulation de voiture, elle est un peu isolée mais accessible, entourée de verdure et de bois. Le cadre est idyllique, mais les infrastructures sont très dégradées. Il y a un manque de jeux, de bancs, de tables, de poubelles. Lorsqu’on fait une activité, on enlève les crasses avec les habitant·es, pour que ce soit un minimum accueillant".
Le manque de suivi au niveau de la réparation et de l’entretien serait dû aux dégradations récurrentes des installations. "C’est compliqué de demander à des enfants, à des citoyen·nes, de respecter un endroit qui au premier abord est sale et délabré", répond Damien Alleman. Dans cette optique, le comité souhaite que la commune puisse réinvestir, a minima, pour des goals, des lignes sur le sol des marelles, peut-être des paniers de baskets, refaire les grillages aux alentours… "Des éléments qui ont l’air très anodins, mais qui sont importants pour les enfants".
Les enfants s’expriment
Voici quelques paroles échangées avec les enfants et adolescent·es lors de la chasse aux oeufs en avril 2022, organisée sur ladite plaine. Âgé·es entre 11 ans à 17 ans, tous et toutes partagent leurs observations sur cet espace et ne manquent pas d’idées…
— "On a dur de jouer au foot parce qu’on n’a pas de goals. Le ballon va sur la route".
— "Il y a des palissades mais on se blesse et ça crève tous nos ballons."
— "Il n’y a que trois jeux, deux d’escalade et un tourniquet. C’est pour les petits mais ils s’ennuient quand ils jouent avec, ou alors ils se blessent, je trouve ça nul."
— "On ne nettoie pas assez les jeux, parfois il y a des pipis dessus."
— "Des balançoires ou des toboggans ça pourrait être marrant!"
— "Mettre des bancs, une table de pique-nique, ce serait bien pour pouvoir s’asseoir avec mes amis."
— "La plaine elle est sale mais on l’aime quand même."
Damien Alleman: "Il est impensable de demander à des enfants d’aller jouer à une plaine de jeux à Dolhain ou à Verviers. Il y a sur place un bel espace, il paraît donc logique de donner la possibilité aux enfants de jouer dans leur quartier. Par ailleurs, les déplacements seraient compliqués, car le bus ne circule plus pour le moment. L’école primaire compte un peu plus de 50 enfants, et plus de 90 % d’entre eux·elles habitent le quartier. On peut imaginer qu’il y a entre 40 et 50 enfants qui sont du quartier, plus leurs frères et soeurs, des adolescent·es qui sont toujours dans les environs et qui pourraient profiter de cet espace". Un espace public central pour les enfants donc, mais certainement plus largement pour tout le maillage social du quartier.
Les enfants du quartier à la chasse aux oeufs, paniers et têtes pleines, ont fait part de leurs suggestions pour aménager les alentours.
TÉMOIGNAGES
Paroles d’habitants
Rebecca: "Il y a plein de choses qui manquent à Renoupré, même si c’est un quartier qui a envie d’être fort ensemble. J’ai envie qu’il se fasse entendre, qu’il se fasse voir parce que c’est ce qu’il mérite. On est là, on existe, on fait partie de Dison".
Dolores: "C’est un quartier agréable où il faut se manifester pour ne pas être oubliés. On n’a pas de commerce à Renoupré donc on dépend des bus, mais cela manque. On espère récupérer le bus qui passe par la rue Tivoli, maintenant que le pont est rouvert. J’ai une voiture, je n’ai pas de souci de mobilité, mais c’est ça une solidarité de quartier, c’est se sentir concernée par les difficultés des autres".
Marie-Josée: "J’habite dans le quartier depuis 64 ans. Voir la plaine de jeux dégradée, cela me fait beaucoup de peine, car avec mon défunt mari nous y avons passé du temps, nous avons pendant longtemps ramassé les déchets, essayé de l’entretenir. Malgré mon grand âge, je pense que je dois participer au comité, essayer de faire changer les choses pour les générations futures".
Françoise: "Dans le quartier, on s’amusait, on discutait entre voisins, c’était agréable. Les choses se sont dégradées, la pauvreté s’est installée. La vie change. C’est important d’avoir des festivités, pour se rencontrer, se connaître au fond".
Groupe Facebook du Quartier de Renoupré