Depuis 2009, le CEPAG verviétois et la FGTB de Verviers- Ostbelgien organisent, en partenariat avec le Centre Culturel de Dison, celui de Verviers et d’autres acteurs culturels et sociaux, un Festival de résistance pour rendre hommage à celleux qui ont lutté et à celleux qui se battent encore contre les inégalités ou les injustices, pour défendre des libertés collectives et maintenir la perspective d’un monde meilleur.
Du 10 avril au 17 mai, le Festival de Résistance propose une série de rendez-vous qui invitent à la résistance active sur des sujets de société qui nous concernent tous·tes. Cette 16e édition sera l’occasion de revenir aux prémices des valeurs qui transcendent le projet, et de les appréhender avec nos regards actuels. Programme à découvrir dans les pages suivantes.
Cette année, le Festival de résistance décide de commémorer les 20 ans de l’"Appel aux jeunes générations", et de réfléchir à une réactualisation de celui-ci. Comment l’interpréter ainsi que le compléter en 2024? Comment lui donner un ancrage plus local? Quelles formes prennent la résistance en 2024?
INTERVIEW
Daniel Richard, secrétaire régional interprofessionnel à la FGTB et administrateur au Cepag Verviétois.
Photo: L'Avenir
Présence : Pour cette édition, vous avez souhaité lancer un appel à contributions associatif, militant et citoyen pour porter un regard actuel sur un texte de 2004, quel est ce texte?
Daniel Richard : Le 8 mars 2004, treize vétérans des mouvements français de résistance et des forces combattantes de la France libre lançaient un "Appel aux jeunes générations" (voir plus bas) dénonçant notamment "la remise en cause du socle des conquêtes sociales de Libération". Ce texte, puissant, résonne alors comme un "rappel à l’ordre" d’une génération d’acteurs·trices qui ont donné les bases d’un modèle de société issu, en France, des travaux du Conseil national de la résistance (dont le manifeste politique sera intitulé… Les jours heureux ).
Chez nous, de semblables aspirations seront traduites dans le "Pacte social" de 1944.
Comment avez-vous pris connaissance de ce texte?
En 2010, lors du second Festival de résistance, nous décidons d’inviter Raymond Aubrac, aujourd’hui décédé, qui fut un résistant français à l’Occupation nazie et au Régime de Vichy pendant la Seconde Guerre mondiale. Nous l’avons longuement interviewé et il nous a remis ce texte. C’est donc par son intermédiaire que nous l’avons découvert et que nous en avons mesuré toute la pertinence et l’actualité.
En quoi est-il lié au Festival de résistance?
Le fil rouge du Festival de résistance porte sur cet "Appel aux résistants", qui célèbre les valeurs de la Sécurité sociale, des services publics, d’une presse libre et indépendante… Ce texte représente un peu la charte de notre festival.
Il y a notamment une phrase extrêmement forte dans ce texte, qui dit que la Sécurité sociale a été construite à un moment où l’Europe était ruinée, et qu’en 2009, ces conquêtes sociales sont menacées, sous prétexte de manque de moyens pour les maintenir et les prolonger. Pour cette nouvelle édition, il nous a semblé intéressant de remettre en valeur cet appel, de le relire et d’essayer de voir la manière dont il résonne dans notre monde actuel, 20 ans après sa parution. Il y a plusieurs aspects qui restent d’une grande actualité, mais il y a évidemment aussi des sujets qui manquent…
Lesquels par exemple?
Tout ce qui est lié au dérèglement climatique, aux crises énergétiques, la question migratoire, la montée de l’extrême droite, l’égalité homme-femme, la décolonisation… Il y a 20 ans en arrière, il y avait une impossibilité à penser certains sujets.
Justement, comment souhaitez- vous faire cette mise en valeur?
L’idée est de mener un véritable travail d’éducation permanente sur ce texte pour en rédiger une version actualisée et locale. Le 17 avril prochain au Centre culturel de Dison, une soirée "lecture et cabaret" animée par Paul Hermant et Pirly Zurstrassen autour de l’appel de 2004 sera organisée. Citoyen·nes, militant·es et associations seront convié·es à proposer et lire d’autres textes, extraits de livres ou autres qui précisent et ancrent dans notre territoire le propos des résistants français.
Cette soirée serait une étape permettant la constitution d’une bibliographie de référence. À l’heure du tout à l’écran, l’idée serait de remettre la lecture au centre d’une réflexion possible. Un graphiste en proposerait une "cartographie en direct". La possibilité de contribuer, de réagir au texte restera ouverte après le 17 avril, c’est un travail sur le long terme, qui pourrait aboutir à une publication, un appel aux résistant·es verviétois ·es disonais·es, avec comme point de départ leur actualité, en cohérence avec les valeurs exprimées dans le texte initial.
TÉMOIGNAGE
"Selon vous, contre quoi est-il important de résister en 2024?"
Nous avons posé la question à Paul Hermant, connu pour ses chroniques radiophoniques (pendant une dizaine d’années sur La Première et Musiq3) et auteur de plusieurs essais sociopolitiques. Il est aussi créateur ou accompagnateur de mouvements comme Opération villages roumains, Causes communes, le G1000 ou Acteurs des temps présents.
Paul Hermant animera la soirée lecture et cabaret autour de l’appel aux résistants au Centre culturel de Dison dans le cadre du Festival de résistance.
"Selon moi, il est important de faire la distinction entre ce qui serait l’acte de résistance et l’action de se défendre. Passer directement à la résistance supposerait que l’on a échoué dans notre défense, que l’on a été vaincu·es et qu’on ne mène pas le combat. Un exercice salutaire serait de travailler ensemble à l’inventaire des secteurs où l’on estime qu’il faut mener des actions de résistance, et les secteurs qui sont toujours défendables. Je pense par exemple que la montée des températures à l’échelle de la planète fait partie des secteurs où il faut entreprendre des actions de résistance, car la défense a échoué…"
TEXTE
L’appel aux jeunes générations de 2004
Un appel lancé par celles et ceux qui résistèrent lors de la Seconde Guerre mondiale et dont certains furent à l’origine du Conseil national de la résistance. Cet appel lancé en 2004 sera actualisé localement lors du Festival de résistance 2024.
Stéphane Hessel, un des signataires de l’Appel, a écrit en 2010 l’essai "Indignez-vous", vendu à des millions d’exemplaires et ayant inspiré les jeunes indigné·es à travers le monde.
"Au moment où nous voyons remis en cause le socle des conquêtes sociales de la Libération, nous, vétérans des mouvements de Résistance et des forces combattantes de la France Libre (1940-1945), appelons les jeunes générations à faire vivre et retransmettre l’héritage de la Résistance et ses idéaux toujours actuels de démocratie économique, sociale et culturelle. Soixante ans plus tard, le nazisme est vaincu, grâce au sacrifice de nos frères et soeurs de la Résistance et des Nations unies contre la barbarie fasciste. Mais cette menace n’a pas totalement disparu et notre colère contre l’injustice est toujours intacte.
Nous appelons, en conscience, à célébrer l’actualité de la Résistance, non pas au profit de causes partisanes ou instrumentalisées par un quelconque enjeu de pouvoir, mais pour proposer aux générations qui nous succéderont d’accomplir trois gestes humanistes et profondément politiques au sens vrai du terme, pour que la flamme de la Résistance ne s’éteigne jamais.
Nous appelons d’abord les éducateurs, les mouvements sociaux, les collectivités publiques, les créateurs, les citoyens, les exploités, les humiliés, à célébrer ensemble l’anniversaire du programme du Conseil national de la résistance (CNR) adopté dans la clandestinité le 15 mars 1944 : Sécurité sociale et retraites généralisées, contrôle des “féodalités économiques”, droit à la culture et à l’éducation pour tous, presse délivrée de l’argent et de la corruption, lois sociales ouvrières et agricoles, etc.
Comment peut-il manquer aujourd’hui de l’argent pour maintenir et prolonger ces conquêtes sociales, alors que la production de richesses a considérablement augmenté depuis la Libération, période où l’Europe était ruinée ? Les responsables politiques, économiques, intellectuels et l’ensemble de la société ne doivent pas démissionner ni se laisser impressionner par l’actuelle dictature internationale des marchés financiers qui menace la paix et la démocratie.
Nous appelons ensuite les mouvements, partis, associations, institutions et syndicats héritiers de la Résistance à dépasser les enjeux sectoriels, et à se consacrer en priorité aux causes politiques des injustices et des conflits sociaux, et non plus seulement à leurs conséquences, à définir ensemble un nouveau “Programme de Résistance” pour notre siècle, sachant que le fascisme se nourrit toujours du racisme, de l’intolérance et de la guerre, qui eux-mêmes se nourrissent des injustices sociales.
Nous appelons enfin les enfants, les jeunes, les parents, les anciens et les grands-parents, les éducateurs, les autorités publiques, à une véritable insurrection pacifique contre les moyens de communication de masse qui ne proposent comme horizon pour notre jeunesse que la consommation marchande, le mépris des plus faibles et de la culture, l’amnésie généralisée et la compétition à outrance de tous contre tous. Nous n’acceptons pas que les principaux médias soient désormais contrôlés par des intérêts privés, contrairement au programme du Conseil national de la Résistance et aux ordonnances sur la presse de 1944.
Plus que jamais, à ceux et celles qui feront le siècle qui commence, nous voulons dire avec notre affection : créer, c’est résister. Résister, c’est créer."
Signataires
Lucie Aubrac, décédée le 14 mars 2007, enseignante, co-fondatrice du mouvement résistant "Libération".
Raymond Aubrac, membre de l’état-major de l’Armée secrète, arrêté deux fois, commissaire de la République à Marseille (préfet régional) lors de la Libération.
Henri Bartoli, reconnu "Juste parmi les nations" (pour avoir sauvé des Juifs).
Daniel Cordier, fondateur du CNR (Conseil national de la Résistance).
Philippe Dechartre, résistant, membre des cercles de gaullistes historiques, plusieurs fois ministre et député après la guerre.
Georges Guingouin, instituteur, résistant dès l’été 1940.
Stéphane Hessel, chargé de mission en France occupée, arrêté en juillet 1944 et déporté à Buchenwald puis Dora. Militant antiraciste.
Maurice Kriegel-Valrimont, syndicaliste avant la guerre, membre du Comité militaire du CNR.
Lise London, capitaine dans la Résistance, ancienne déportée à Ravensbrück.
Georges Seguy, ouvrier imprimeur, résistant au sein des francs-tireurs et partisans français, arrêté en 1944, déporté au camp de Mauthausen.
Germaine Tillion, déportée à Ravensbrück, militante humaniste et anticolonialiste après la guerre.
Jean-Pierre Vernant, étudiant antifasciste avant la guerre, résistant dès 1940, organisateur militaire, libérateur de Toulouse avec ses camarades.
Maurice Voutey, déporté à Dachau puis dans les camps du Neckar. Secrétaire général de la Fédération nationale des déportés et internés résistants patriotes (FNDIRP).