Focus sur les chorales militantes. On les croise lors des manifestations pour le climat, contre les violences faites aux femmes, pour la justice sociale…

Les chorales militantes résonnent dans l’espace public et portent les voix de celles et ceux qu’on n’entend pas.

Du 21 au 23 juin prochains, le Centre culturel de Dison programme sa traditionnelle Fête de la musique. Depuis 1991, cette fête était organisée dans le parc du Château d’Ottomont.

Pour cette édition, cap sur le centre-ville de Dison et ses terrasses!

Saviez-vous que la musique, le chant plus particulièrement, est également un outil de militance?

"Le chant est un médium de protestation et son usage pour la cause politique est très ancien. Les premiers chants révolutionnaires marquant l’Histoire datent du XVIIIe siècle en Europe, comme la Marseillaise après la Révolution française", rappelle Benoît Rihoux, professeur de sciences politiques à l’UCLouvain, spécialisé dans les nouveaux mouvements sociaux en Europe. (Source : Chorales militantes : les luttes chantées, Soraya Soussi, janvier 2023 – www.cncd.be)

Dans ce dossier, nous vous présentons plus en détail cette démarche, qui a d’ailleurs inspiré une initiative sur notre arrondissement, avec la création d’une chorale militante à Malmedy en octobre 2023.


INTERVIEW
"Cultiver une certaine forme de joie dans les luttes, c’est essentiel!"
Rencontre avec
 Léa Gros, chargée de campagne pour le CNCD 11.11.11


Léa Gros donne de la voix lors d’un rassemblement de "La rue des chorales". © CNCD 11.11.11 – Shannon Rowies

Le chant (ré)enchante nos luttes pour un monde juste et durable. Cette discipline artistique permet de militer dans la joie, mais aussi de porter en choeur des messages engagés en faveur de la solidarité. C’est pourquoi, en 2015, le CNCD 11.11.11 a créé une première chorale engagée et militante à Bruxelles : le Buena Vida Social Band. Depuis lors, plusieurs chorales militantes sont nées à leur tour : Lalaliège à Liège et Malmedy ; La Casserole à Namur, Charivari à Ohey et les Mili-Choeur à Louvain- la-Neuve. L’engouement est là, d’autres sont en train de voir le jour.

PRÉSENCE : À qui s’adressent les chorales militantes et sur quelle base se forment-elles?

Léa Gros : Une chorale militante s’adresse à toute personne qui aime chanter! Il ne faut donc pas d’aptitudes particulières, juste avoir envie de "faire mouvement" ensemble, en chantant. À Bruxelles, nous avons formé la première chorale du CNCD 11.11.11 dans l’objectif de sensibiliser les citoyen·nes à la protection sociale. Ce n’était pas un projet pensé sur le long terme, mais ça a tellement bien fonctionné que les choristes ont souhaité poursuivre… et puis cette chorale a fait plein d’autres bébés en Wallonie! Parfois, c’est un groupe de citoyen·nes volontaires qui ont envie de se mettre ensemble pour chanter qui rejoignent notre réseau. Et puis parfois, ce sont des chorales déjà existantes qui s’adressent à nous, car elles sont intéressées d’avoir un répertoire militant.

Quelles sont les thématiques de luttes ciblées par les différents répertoires?

Elles sont toutes multithématiques. Les choristes choisissent les sujets de lutte qui les animent. Nous mettons à disposition sur le site internet du CNCD 11.11.11 des "Kanto Kolekto" ou chansonniers. Ces répertoires sont classés par lutte, avec des chansonniers adaptés pour l’égalité des genres, la justice climatique ou encore la protection sociale. Chaque chansonnier regroupe des dizaines de chants militants ou solidaires, d’ici et d’ailleurs, des chants historiques ou contemporains, en différentes langues… Et nous replaçons également l’histoire de ces chants, comment ils s’ancrent dans une réalité sociale ou politique. On y retrouve des chansons telles que Bella Ciao (lire plus bas), Clandestino de Manu Chao, La grenade de Clara Luciani, Aux arbres citoyens de Yannick Noah… et bien d’autres!


Kanto Kolekto, des carnets pour chanter la solidarité.

J’ai lu que vous organisez parfois des rencontres entre chorales militantes, pourquoi?

Oui, il s’agit des rassemblements intitulés "Rue des Chorales". Le principe est de réunir un maximum de chorales dans une même rue afin de chanter un répertoire commun lors d’une grande manifestation. Chanter par centaines permet de réellement porter nos voix, qu’elles soient plus fortes.

Le chant militant est-il une façon de mettre à distance les inégalités que l’on dénonce?

Je ne dirais pas qu’il s’agit de les mettre à distance. Lutter, c’est parfois fatigant, les constats sont durs à porter, on n’a pas toujours de bonnes nouvelles… Pour continuer à lutter, cultiver une certaine forme de joie, c’est essentiel. Le CNCD 11.11.11 y croit très fort, même s’ils portent sur des sujets difficiles, les chants viennent semer un peu d’espérance. C’est assez magique d’entendre sa voix se mêler à celles des autres et créer une sorte d’écho. C’est impressionnant à vivre en tant que choriste, mais aussi en tant que spectateur ·trice. Entendre une chorale poser des mots qui sont forts, qui sont percutants, ça donne des frissons!

Quelles sont les forces et les limites de cette forme de militance?

La force, c’est vraiment cette militance joyeuse. Je pense aussi que c’est une chouette façon de sensibiliser un public qui n’est pas forcément intéressé par certaines thématiques. Au niveau des limites… il y a parfois tellement de luttes à mener qu’il est difficile de savoir sur quoi chanter… Cela crée au sein des chorales pas mal de discussions et d’échanges. Une autre limite actuelle, c’est le manque de diversité dans nos chorales, et plus largement dans pas mal de réseaux militants. Les chorales sont composées de personnes déjà engagées et intéressées, qui rejoignent les groupes par bouche-à-oreille. L’enjeu est de savoir comment nous pouvons les ouvrir encore plus. Ce qui permet toutefois de décloisonner cette forme d’entre-soi, c’est le fait de chanter un peu partout dans l’espace public, dans les manifestations notamment, mais aussi dans des parcs, des centres fermés, des maisons de jeunes… C’est une autre manière de diversifier le public.


© CNCD 11.11.11 – Shannon Rowies


ANALYSE
Bella Ciao, air révolutionnaire devenu populaire

C’est l’histoire d’un air devenu hymne de la résistance, puis tube commercial. À la simple évocation de Bella Ciao, un refrain entêtant nous vient à l’oreille. Beaucoup d’entre nous l’ont sans doute découvert lorsqu’il fut popularisé par la série La Casa de Papel, ou quand il fut repris par le chanteur Gims, il y a quelques années.

Si l’air de Bella Ciao est connu de tous·tes, son histoire l’est beaucoup moins… En effet, Bella Ciao est avant tout un chant populaire, révolutionnaire, antifasciste, féministe et national, dont la popularité s’est construite au fil des ans.

Quelle est l’histoire de Bella Ciao?

Bella ciao est un chant populaire de protestation chanté au début du XXe siècle par les Mondines, les ouvrières saisonnières travaillant dans les rizières des plaines du nord de l’Italie, pour dénoncer leurs conditions de travail. Repris après la lutte sociale qui mena en 1908 à l’instauration de la loi limitant le travail journalier à 8 heures, il est un adieu à la Mondine d’avant la loi, érigé en symbole de la condition du sous-prolétariat du nord de l’Italie. Les paroles ayant été changées en 1944 par des partisans de la lutte antifasciste, il est devenu un chant de révolte contre les troupes allemandes de la République sociale italienne avant de devenir, dès les années 60, un hymne à la résistance repris dans le monde entier lors de manifestations.

Extrait
Le matin, à peine levée
À la rizière je dois aller
Et entre les insectes et les moustiques (…)
Un dur labeur je dois faire Le chef debout avec son bâton (…)
Et nous courbées à travailler O Bonne mère quel tourment
O bella ciao bella ciao bella ciao ciao ciao (…)
Et toutes les heures que nous passons ici (…)
Nous perdons notre jeunesse.
Mais tu verras qu’un jour toutes autant que nous sommes
O bella ciao bella ciao bella ciao ciao ciao (…)
Nous travaillerons en liberté.


CHANT LOCAL
Une chorale militante à Malmedy



À Verviers et aux quatre coins de la Fédération Wallonie-Bruxelles, les "Équipes populaires" est un mouvement d’éducation permanente qui rassemble des citoyennes et des citoyens afin de mieux comprendre la société qui nous entoure, pour pouvoir être acteurs et actrices de changement…

Parmi les projets du mouvement, une chorale militante, démarrée à l’initiative de deux membres de l’antenne locale de Stavelot-Malmedy. Cette chorale fait désormais partie du réseau des chorales du CNCD 11.11.11 et est en partenariat avec la Maison de jeunes de Malmedy.

Naissance du projet

Shan Hsia, secrétaire régionale des Équipes populaires de Verviers, explique: "Lorsque cette envie a été formulée, ça a été un grand oui. Le chant peut être une voie accessible à tous·tes sur la question de militance, c’est un moyen intéressant pour se rendre compte de son agir citoyen politique. Monique Renard Koch, membre de l’équipe de Malmedy, a cette formule qui le résume bien: militer en chantant, ou bien chanter en militant!"

La chorale militante de Malmedy est donc née en octobre 2023 et se réunit deux fois par mois dans un local de la MJ. Shan Hsia: "Ce projet faisait d’autant plus sens dans la région, où il y a un grand folklore musical, pas mal de groupes et de musiciens."

Liberté de ton et d’octaves

Comme l’évoquait Léa Gros (CNCD 11.11.11) dans notre dossier, rejoindre une chorale militante ne requiert aucun talent vocal particulier: "Ce n’est pas un cours de chant, nous sommes un collectif et c’est la dynamique de groupe qui prime. Le choix des chansons, ce qui va nous porter en termes de sensibilisations et de revendications politiques… tout cela est discuté en groupe. Il y a aussi une grande flexibilité dans la présence à chaque rencontre, venir une seule fois, certaines fois et pas d’autres ou juste lors de grands événements, c’est ok!"

Dans les thématiques de lutte chères à la chorale malmédienne, composée actuellement d’environ 10 personnes, il y a le féminisme, le sexisme, le validisme, la question de la grossophobie et des discriminations physiques. Le spectre des luttes est vaste et à géométrie variable. Il s’ajuste ou s’ajustera en fonction du souhait des choristes.

En choeur

Avant même de pousser la chansonnette, un temps important a été consacré à constituer un socle de valeurs communes: "En amont, nous avons pris le temps de parler des sujets qui nous tiennent à coeur, de comprendre ce qui nous réunit et comment le groupe va fonctionner ensemble."

Aux premières réunions, la chorale avait déjà deux dates qui allaient permettre de se mettre la voix à l’étrier: "Nous avons chanté le 8 mars à Malmedy, puis le 9 mars à Verviers, lors d’actions pour la Journée internationale du droit des femmes. Le 3 décembre, nous avons rejoint la "Rue des Chorales" pour la marche climat à Bruxelles, qui réunissait au moins 25 000 personnes."

Comment savoir si nous sommes capables de donner de la voix, de défendre des idées et des valeurs qui nous sont chères, devant un public? Shan explique: "Nous y avons été progressivement, en douceur et en respectant les limites de chacun·e. Chanter, revendiquer, c’est effectivement se soumettre aux regards. Ce n’est pas un exercice facile, cela peut même être terrifiant, c’est important de pouvoir compter sur le soutien et la présence des autres. Et puis, sortir de sa zone de confort, c’est très galvanisant, c’est une fierté aussi. Au fur et à mesure, on prend confiance, c’est réellement une boucle vertueuse!"

À noter que la chorale reste ouverte à de nouveaux participant ·es ! Seule condition, adhérer aux valeurs de l’association, que Shan résume en une phrase: "En somme, souhaiter un monde plus juste et plus égalitaire!". Check one two one two!

• Infos : 0476 73 10 21 | Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. | equipespopulaires.be/verviers