L’intelligence artificielle et le numérique permettent de créer des images plus vraies que nature. Des images qui peuvent faire vaciller notre sens des réalités.
Emmanuel Macron en costume, assis sur un tas d’ordures en pleine grève des éboueurs ou debout contre sa propre réforme des retraites. L’ancien président Donald Trump qui résiste à une arrestation musclée. Le pape François qui parade en doudoune Balenciaga. Ce genre d’image alliant situation improbable et réalisme saisissant a inondé la toile. En cause : non pas une réalité dystopique, mais l’intelligence artificielle.
Midjourney, Dall-E, Stable diffusion… les logiciels générant des images par intelligence artificielle se sont perfectionnés et démocratisés, entraînant une véritable révolution dans le milieu de l’industrie visuelle.
Face aux ambitions dévorantes de ces nouvelles technologies, les professionnel·les du secteur tentent de faire valoir leurs droits et de sensibiliser sur l’amplitude des défis financiers, L’IA fait pourtant partie de notre quotidien depuis des années.
Des logiciels comme Photoshop (logiciel de retouche, de traitement et de dessin assisté par ordinateur), notamment, l’utilisent comme outils de retouche ou de tri proposés aux photographes. Mais récemment, une forte accélération s’est produite, un véritable tournant ; des investissements financiers importants ayant permis d’augmenter les capacités de calculs et d’entraînements des algorithmes.
L’IA fait pourtant partie de notre quotidien depuis des années. Des logiciels comme Photoshop (logiciel de retouche, de traitement et de dessin assisté par ordinateur), notamment, l’utilisent comme outils de retouche ou de tri proposés aux photographes. Mais récemment, une forte accélération s’est produite, un véritable tournant ; des investissements financiers importants ayant permis d’augmenter les capacités de calculs et d’entraînements des algorithmes.
Cette IA dite "générative", créatrice de contenus donc, pose des défis variés et redoutables, qui concernent tous les domaines de la création visuelle et artistique : la photographie, la peinture, l’illustration, la publicité… En face, instances étatiques et institutions culturelles peinent à s’adapter.
Source: "L’imagerie par intelligence artificielle, une révolution visuelle", Blind Magazine, Copélia Mainardi, 25 mai 2023.
INTERVIEW
"Avec l’IA, différencier le vrai du faux sera un enjeu crucial."
Entretien avec Georges Lekeu, Journaliste à L’Avenir
Présence: Pourriez-vous nous expliquer ce qu’est l’intelligence artificielle, qui semble être un mot assez fourre-tout?
G.L. : Effectivement, c’est un terme qui va rassembler de façon un peu maladroite et inopportune toute une série de technologies plus ou moins proches. Ce qui a véritablement explosé aux yeux du grand public, ce sont les intelligences artificielles génératives dans différents domaines : images, musique, montages vidéo, mises en pages, génération de textes, de codes informatiques, etc.
On peut citer aussi les agents conversationnels comme ChatGPT (NDLR : programme informatique conçu pour simuler une conversation humaine), motorisés par une IA, qui à la fois apprend seule via des technologies de machine learning, mais qui est surtout nourrie manuellement par des milliers de personnes employées dans les pays du Sud.
L’arrivée des algorithmes, qui n’est pas neuve, peut aussi être considérée comme une forme d’IA, car ils se nourrissent d’un cursus de données pour produire un résultat.
Ces agents conversationnels font déjà partie de notre quotidien, mais ont leurs limites.
Concernant les agents conversationnels comme ChatGPT, les concepteurs continuent de buter sur les mêmes difficultés et n’osent pas totalement implémenter ces outils dans le travail, car on ne peut pas avoir pleinement confiance dans le résultat. Ce que l’IA ne sait pas, elle va l’inventer et l’affirmer de façon plausible.
Un exemple très concret concerne les opérateurs télécoms en Belgique, qui essaient de passer à la vitesse supérieure dans la gestion par IA de leur chatbot. C’est-à-dire avoir un tri pour certains appels entrants avec des assistants virtuels qui vous parlent au téléphone. Or, le constat est que le chatbot donne des renseignements erronés ou inadéquats. Dans d’autres secteurs, comme les institutions hospitalières, faire appel à ces agents conversationnels aurait d’autres conséquences. Avoir un mauvais renseignement sur mon abonnement internet, c’est embêtant, avoir un conseil inapproprié sur ma santé, c’est dangereux, d’autant plus si vous ne savez pas si vous avez affaire à un véritable interlocuteur ou pas.
Est-ce que l’IA nous aide ou nous entrave?
Les deux! Cela dépend de ce que l’on entend par entraver, mais elle va en tout cas amener de nouvelles difficultés. Une des difficultés concerne spécifiquement la génération d’images, comment repérer le vrai du faux?
Pour les organes de presse, c’est relativement clair, car chaque éditeur se dote de règles, de chartes pour assurer la transparence sur le fait qu’une image a été générée par une IA ou pas.
La vérification des images sera de plus en plus problématique sur les réseaux sociaux, pour la vidéo par exemple, il y a des résultats spectaculaires. On peut, à peu de choses près, mettre n’importe quel visage sur un autre et lui faire tenir n’importe quel discours de manière plausible.
Il y a encore quelques failles qui trahissent parfois l’IA, le nombre de doigts à une main, la position du corps, les intonations ou les émotions… mais ces anomalies sont tout à fait perfectibles.
Là où l’IA nous aide, c’est dans l’exécution de tâches chronophages répétitives et mécaniques. Il existe des IA intégrées à des écosystèmes bureautiques comme "Copilot", qui permet de trier les mails essentiels, proposer des réponses automatiques pour d’autres… Cela représente un gain de temps important, qui peut être réinvesti ailleurs.
Ce point positif a par contre une incidence potentiellement négative sur certains métiers.
Évidemment, plus vous avez un assistant motorisé performant, moins vous avez besoin d’un·e secrétaire pour vous aider. Il y a des victimes évidentes, les illustrateurs·trices, les graphistes, les metteurs ·euses en page… ces secteurs prennent le premier choc, il y aura l’onde d’après, plus subtile, que l’on va découvrir au fil du temps.
Il y aura nécessairement des victimes collatérales auxquelles on ne pense pas directement. Dans les métiers de la presse par exemple, les métiers de maquettisme, de mise en page sont voués à disparaître.
Nous avons déjà des algorithmes qui peuvent automatiquement créer une mise en page à partir d’un article donné. L’étape d’après, c’est la possibilité pour les lecteurs·trices via leur compte sur le site du journal d’avoir un journal "sur mesure". L’algorithme sélectionne des articles selon vos centres d’intérêt et l’IA effectue la mise en page personnalisée. Chaque lecteur·trice pourra donc potentiellement recevoir un journal fait rien que pour lui·elle.
Le risque, c’est évidemment de se retrouver avec le même effet de "tunnels cognitifs" déjà présents sur les réseaux sociaux, il n’y a plus d’ouverture à la curiosité ou à la nouveauté, car les algorithmes ne sont pas pensés pour vous éveiller ou élargir votre horizon, ils sont plutôt là pour vous renforcer dans vos perceptions…
Photos : Le "double virtuel" d’Emmanuel Macron, du pape François ou de Donald Trump, apparait dans des situations élaborées grâce à l’intelligence artificielle.
RENCONTRE
Quels sont les impacts de l’intelligence artificielle sur les professionnel·les de l’illustration et du graphisme?
Présence a rencontré 4 artistes qui partagent leurs points de vue sur la création assistée par IA.
"L’IA est un outil, mais ne doit pas être le vecteur principal de la création."
Jo Delannoy, alias Jo dessine un peu, illustrateur et concepteur de l’exposition "Entrer dehors, sortir dedans" présentée à Dison en octobre.
jodessineunpeu.com | Facebook | Instagram
"Globalement, je pense que la pratique de l’illustration va évoluer, de la même façon que le rapport à l’image a évolué avec l’arrivée de la photographie, puis du cinéma. Personnellement, je ne me sers jamais de l’IA, j’ai Photoshop qui me propose cette fonction, je vais probablement m’y intéresser un jour, je sais que cela peut permettre de gagner du temps, mais cela ne m’attire pas vraiment.
Si je devais faire un parallèle, pour moi, l’intelligence artificielle, ce serait l’étudiant de l’Académie qui ne vient jamais, qui copie tout le monde et qui sort un truc sans âme qui a déjà été vu 10 000 fois! Je participe à pas mal de jurys d’écoles d’art, quand je vois des étudiant·es qui glandent et qui copient leurs potes, souvent, je me dis, lui c’est l’IA de la classe!
Les artistes qui travaillent la peinture ou les arts plastiques en général ne se préoccupent pas du tout de l’IA. On peut tout à fait continuer à créer sans l’utiliser, c’est même mieux! Car à force d’y avoir recours, on va cultiver une forme de flemmardise. L’idée de la pauvreté de l’esprit qui s’installe, ça me fait un peu peur. Je préfère largement galérer sur une image et enchaîner des nuits blanches, plutôt que d’utiliser ces outils. Moins on fait d’efforts, plus on tombe dans des systèmes qui se répètent, on dessine tout le temps la même chose et ça n’a plus de sens. L’IA peut être un outil utile, mais ne doit pas devenir le vecteur principal de la création."
"Je ne veux pas qu’un ordinateur dessine pour moi, car c’est ce que j’aime faire!"
Myriam Moray, illustratrice
myriammoray.be | Facebook | Instagram
"Depuis que je suis sortie des études, il y a plus d’outils numériques qui facilitent et fluidifient le travail d’illustration. Je pense à la tablette graphique et le fait de dessiner avec un stylet. Cela a malgré tout son pendant négatif, les tablettes graphiques permettent notamment de stabiliser le trait, en gros, c’est l’ordinateur qui crée le trait à ta place.
C’est très pratique, mais on peut rapidement "s’accrocher" à ces outils, et moins prendre le temps d’améliorer son tracé à la main, d’exercer son oeil, sa créativité. Le fait que tout le monde utilise cet outil rend aussi le trait un peu standardisé, on se retrouve avec des images qui se ressemblent, même si elles sont façonnées par différents artistes.
Je trouve ça un peu triste, nous sommes quand même dans des métiers créatifs, où le but est d’exprimer à sa manière sa vision du monde. J’utilise les outils numériques pour gagner du temps, pour faire mes croquis par exemple, avant de l’imprimer et de le retravailler à l’aquarelle. Il n’y a rien qui remplace la sensation d’avoir un pinceau en main!
J’avoue que cela ne m’intéresse pas vraiment qu’un ordinateur réalise pour moi quelque chose que j’aime faire. Je préférerais que l’IA me permette de remplir plus facilement ma fiche d’impôt, plutôt qu’elle remplace les tâches amusantes! Les personnes qui me commandent des illustrations sont justement à la recherche d’une patte, d’un style, je suis donc peu inquiète pour ma pratique professionnelle. Cela ne veut pas dire que le sujet ne m’interpelle pas, car je ne pense pas qu’il s’agisse d’une vague de mode destinée à disparaître, l’intelligence artificielle a des impacts fondamentaux sur nos métiers. Cela permet de sortir une masse de contenus et d’images très facilement. Quand on n’a pas l’habitude, ce n’est pas toujours évident de reconnaître un montage réalisé par une IA, cela demande un peu d’entraînement pour voir la différence."
"L’intelligence artificielle vole le travail des artistes."
Gaspard Talmasse, illustrateur et auteur de bande dessinée pour enfants
Facebook | Instagram
"La pratique de l’illustration a évolué, technologiquement, il y a des petites évolutions de logiciels comme Photoshop, mais globalement le travail reste le même. Dans la création graphique pure, il y a toujours une part de dessin. Pour preuve, donnez à quelqu’un un stylet et une tablette graphique à quelqu’un qui ne sait pas dessiner, je vous garantis que le résultat sera presque pire que sur du papier!
Je n’utilise pas l’intelligence artificielle, ni en graphisme ni en illustration, encore moins en bande dessinée. Dans le secteur de l’édition, c’est d’ailleurs assez mal vu par les artistes. L’une des raisons, c’est que l’IA vole le travail des artistes.
Factuellement, l’IA se base uniquement sur ce qu’elle peut récupérer, sur ce qui a déjà été créé, elle ne va rien créer de neuf en soi, elle produit un mélange de ce qui existe déjà.
On engage moins les graphistes et les illustrateurs pour créer des logos ou réaliser des couvertures de romans, car l’IA est déjà suffisamment forte pour le faire. Il y a eu une hécatombe en très peu de temps et un vide juridique sur des questions de limites, de propriété intellectuelle et de droits d’auteurs, le problème est que l’IA va plus vite que le législateur. À partir de quel moment peut-on considérer qu’il y a plagiat? La frontière est loin d’être nette actuellement.
Des auteurs se regroupent pour tirer la sonnette d’alarme sur ce genre de pratique auprès des éditeurs, heureusement il en existe encore beaucoup qui manifestent la volonté de produire une création originale.
Je me sers par contre de ChatGPT pour des formulations de phrases, des demandes de subsides, c’est un coup de pouce, mais ça ne veut pas dire qu’on lui demande de créer du contenu à notre place. Ce serait d’ailleurs risqué d’avoir de mauvaises surprises dans certaines formulations… Cela se voit, quand une image ou un texte a été produit par une IA.
Jusqu’à présent, il y a toujours besoin d’une intervention humaine, ne fût-ce que pour introduire la demande – le "prompt" (NDLR : l’instruction donnée à l’intelligence artificielle pour générer une image ou un texte) – par écrit dans le programme, mais cela dépend de la complexité de ce qui est demandé. Il me semble par exemple impensable qu’un bon roman, qui soit une réelle oeuvre originale, avec un récit élaboré, puisse naître d’une IA. Elle ne peut pas saisir la complexité de la nature humaine et les comportements qui sont mis en scène dans un film ou une bande dessinée. Cela lui échappe."
"L’IA est loin d’être ancrée dans ma pratique"
Jean-Marc Daele, graphiste au Centre culturel de Dison, illustrateur
Chaque mois, nous éditons ce magazine, mis en page par notre graphiste, Jean-Marc Daele. Quel est son regard sur l’IA ? "Ce que je trouve intéressant, c’est la possibilité d’affiner son prompt pour obtenir quelque chose qui se rapproche au plus près de la demande. Cette maîtrise permet d’avoir des résultats assez saisissants. L’utilisation de l’IA est loin d’être ancrée dans ma pratique. J’y ai déjà fait appel pour réaliser un tract des Ateliers du Centre culturel, je voulais avoir une photo avec plusieurs enfants de différentes origines. J’ai constaté qu’on retrouve rarement des visages noirs ou métis dans les images produites, et c’est compliqué de formuler ce type de demande sur le prompt. Il faut considérer l’IA comme un outil, avec toutes les dérives et les qualités qu’il comporte."