Dans un contexte où de nombreuses femmes ne souhaitent plus endosser la charge mentale, médicale et financière que représente le fait de gérer le contrôle de leur fertilité, la contraception masculine a le vent en poupe ces dernières années.
Pourtant, cette responsabilité ne repose sur les épaules des femmes que depuis peu. Avant les années 1960, les hommes en étaient responsables, la méthode la plus courante étant alors celle du retrait, le fameux coitus interruptus.
Si l’on remonte à l’Antiquité, contraception et avortement ne se distinguaient pas: on utilisait toutes sortes d’instruments pour bloquer la réunion des semences et empêcher l’enfant de "prendre corps".
On recommandait aussi aux femmes de sauter sept fois talons aux fesses pour évacuer le sperme.
Petite pastille
Tout change avec la légalisation de la pilule contraceptive. Mais, bien que longtemps considérée comme le symbole de la libération sexuelle et de l’émancipation féminine, cette petite pastille qui a "révolutionné la vie des femmes" est désormais perçue par beaucoup comme un moyen de contrôle et un danger pour la santé. Des réticences qui vont de pair avec la volonté de pouvoir faire ses propres choix.
Et pour les hommes?
Quelles seront les prochaines innovations en matière de contraception masculine? En France, une contraception hormonale est déjà possible sous forme d’injections hebdomadaires, par utilisation détournée d’un médicament existant à base de testostérone. En Inde, toujours à l’étude, le "RISUG" (Reversible inhibition of sperme under guidance) consiste à injecter un agent obstructif dans les canaux déférents pour bloquer le passage des spermatozoïdes: un moyen qui s’avère efficace à 99%.
En attendant, seuls deux contraceptifs sont homologués par l’OMS: le préservatif externe et la vasectomie. Cette méthode de stérilisation masculine est une intervention chirurgicale bénigne qui consiste à couper ou ligaturer les canaux déférents qui transportent les spermatozoïdes à partir des testicules. Elle est considérée comme non réversible, faute d’études sur l’intervention inverse (la vasovasostomie), qui permet, dans un certain pourcentage de cas, de retrouver sa fertilité. Aux États- Unis, cependant, où la vasectomie est davantage pratiquée, on considère aujourd’hui avec prudence qu’il est possible d’inverser la manoeuvre. Longtemps perçue comme taboue, cette méthode de stérilisation connaît une augmentation significative dans certains pays, dont la Belgique, avec 12 000 vasectomies pratiquées annuellement, dont les deux tiers en Flandre.
Source: Contraception : qui s’en charge ?, Aliénor Debrocq, Axelle Magazine, juillet-août 2024, www.axellemag.be
INTERVIEW
"METTRE EN VEILLE SA FERTILITÉ N'EST PAS UN CONCEPT FAMILIER AUX HOMMES"
Pour suivre une réflexion sur la contraception partagée, entamée par un groupe de théâtre de la région liégeoise (lire plus loin), Présence s’intéresse à une autre méthode innovante et naturelle, l’andro-switch – une contraception naturelle et thermique dite masculine, qui se présente sous forme d’anneau en silicone – et a posé quelques questions à son concepteur, Maxime Labrit, ancien infirmier.
Présence : comment en êtes-vous venu à vous intéresser à la contraception naturelle et plus particulièrement la contraception masculine?
Maxime Labrit: j’étais dans une relation de couple en 2016-2017 qui m’a amené à faire des recherches sur les méthodes contraceptives masculines. En dehors de la vasectomie et du préservatif, je n’ai pas trouvé grand-chose. En poursuivant mes recherches, j’ai découvert l’Association pour la recherche et le développement de la contraception masculine (Ardecom), une association fondée dans les années 80, où des groupes d’hommes se réunissaient avec des médecins pour définir et travailler autour de plusieurs protocoles. Cette initiative a périclité avec la vague de sida et les campagnes pour inciter au port du préservatif. L’Ardecom a retrouvé un second souffle dans les années 2010- 2015, grâce entre autres au mouvement Me Too, au fait de questionner l’usage de pilule depuis près de 50 ans, etc. Pour sortir de cette impasse contraceptive dans laquelle je me trouvais, j’ai inventé quasiment tout de suite l’anneau andro-switch, ce qui a définitivement permis de relancer le mouvement autour de ces questions d’équité contraceptive.
Parlez-nous justement de l’andro- switch ou "contraceptif thermique", de son fonctionnement? À qui s’adresse-t-il?
Le fonctionnement est très simple, il s’agit d’insérer à l’intérieur de l’anneau le pénis et le scrotum vide, c’est-à-dire la poche contenant les testicules. Par cette action, l’objectif va être d’ascentionner les testicules pour les mettre en position haute, au niveau du pubis. L’anneau en lui-même n’a pas d’effet contraceptif, le principe actif de cette méthode, c’est la chaleur du corps, qui va mettre en sommeil la production de spermatozoïdes. Son action est effective au bout de 3 mois d’utilisation, car c’est la durée du cycle de production de spermatozoïdes. L’andro-switch requiert une pratique quotidienne, à raison d’une quinzaine d’heures par jour. Cette méthode dite "thermique" s’adresse plutôt aux personnes qui sont en couple, car c’est une contraception au long cours. À noter également qu’elle ne protège pas des maladies ou infections sexuellement transmissibles. Parler du parcours contraceptif de chacun·e, c’est un dialogue intéressant à amener dans son couple. C’est aussi permettre aux filles, aux femmes, d’évoquer la charge que représente la contraception, le suivi gynécologique, les violences qui peuvent y être liées, les douleurs menstruelles, la crainte de la grossesse, etc.
Pouvez-vous pointer et déconstruire les appréhensions que peut susciter cette méthode?
Comme évoqué précédemment, les deux méthodes proposées aux hommes en la matière, c’est soit la capote, soit la stérilisation. Ces deux exemples sont le contraire d’une contraception, l’un est une méthode barrière, l’autre est définitive. Le fait de mettre en veille sa fertilité n’est pas un concept familier aux hommes, contrairement à ce que vivent les femmes. Par ailleurs, les hommes n’ont pas cette culture du soin et de l’accompagnement médical concernant la zone uro-génitale. Devoir porter l’anneau quotidiennement peut aussi être considéré comme une contrainte, inacceptable peutêtre. Pourtant, c’est aussi simple que d’enfiler une paire de chaussettes!
Je pense que l’anneau symbolise pour certains hommes la perte d’une forme de virilité, qui peut même se ressentir comme une émasculation. Cela demande un changement dans sa construction et aussi la remise en question du rôle des hommes dans la charge contraceptive. Derrière ces craintes se cache le grand fantôme du patriarcat!
Votre discours tend à déconstruire certains stéréotypes, notamment relatifs aux cycles hormonaux féminins. Pouvez- vous nous en dire plus?
Les personnes avec testicules sont maintenues dans une forme d’ignorance et de non-responsabilisation de cette partie de leur corps. C’est, en partie, dû et imposé par la société, qui agit de façon assez dogmatique et normative, mais c’est également dû à une faiblesse des individus à se questionner et à trouver des réponses par eux-mêmes. Se découvrir soi-même, cela va dans le sens de ces fameux cycles de production de testostérone.
On a souvent binarisé le sujet, avec d’un côté les filles qui ont un cycle et les garçons pas. Les garçons ont bien des cycles, ils sont juste plus rapides en termes de fréquences et d’amplitudes. Il y a 4 à 5 shoots de testostérone par 24 heures, répartis de façon homogène. La production de spermatozoïdes se fait sous l’impulsion de la testostérone, qui elle-même est déchargée de manière discontinue, et donc cyclique. Prendre conscience de ce fait, cela crée un point de convergence, un commun physiologique entre les individus, et cela a son importance!
Autre élément qu’on ne conscientise peut-être pas tant, ce sont les temps de fertilité masculine plus importants chez l’homme que chez les femmes.
Il y a quelques dizaines d’années, un des grands arguments pour ne pas s’intéresser à la contraception masculine était de dire: "les hommes sont fertiles tout le temps, c’est trop compliqué d’arrêter des millions de spermatozoïdes plutôt que d’empêcher un ovocyte de se développer". C’est un raisonnement assez faux, c’est très simple d’arrêter la production de spermatozoïdes, il y a plein d’outils possibles, ils n’ont juste pas été développés.
Pourrait-on dire qu’il n’y a pas de réelle volonté de recherche en la matière?
La majorité des décideurs de firmes pharmaceutiques sont plutôt des hommes blancs hétérosexuels d’une bonne cinquantaine d’années avec un intérêt personnel proche de zéro pour développer ces méthodes. Financièrement aussi, il y a un enjeu, celui de rentabiliser tous les brevets déposés pour les pratiques hormonales adressées aux femmes. Les firmes n’ont pas spécialement envie d’améliorer l’offre contraceptive, car elles savent qu’elles vont décaler le marché d’un individu vers un autre, sans création de nouveaux marchés. Il n’y a par ailleurs aucune forme de régulation pour que les firmes pharmaceutiques mettent à disposition des protocoles qui rencontrent une charte éthique, écologique, féministe… en phase avec les aspirations de la société civile.
En termes de santé, il y a pourtant un enjeu majeur en ce qui concerne la pilule contraceptive, qui reste l’une des méthodes les plus utilisées par les femmes et dont les risques sont désormais connus (NDLR : risques plus élevés de cancer du sein, du col de l’utérus et du foie, maladies du coeur et accidents vasculaires cérébraux).
Effectivement, il a fallu un changement de paradigme dans la recherche médicale pour inclure les garçons dans les projets de recherche sur la contraception, avec une balance bénéfice-risque équilibrée. Une recherche médicale est centrée sur un individu, jamais sur un groupe d’individus. Dans cette logique, le bénéfice pour un garçon d’une pratique contraceptive est nul, parce qu’il ne se passe rien dans son corps. Avec cette approche, le moindre effet secondaire relatif à de potentielles méthodes contraceptives masculines devient rédhibitoire. Petites démangeaisons, sautes d’humeur… pouvaient être considérés comme inacceptables, la balance était donc totalement déséquilibrée. Depuis quelques années, cette balance bénéfice-risque est désormais centrée sur le couple, le simple fait de ne pas avoir d’enfant est donc au bénéfice de la contraception masculine. C’est désormais plus facile d’aborder ces réflexions, de voir quels risques sont prêts à prendre les hommes dans les pratiques contraceptives… tout en sachant qu’en ce qui concerne la méthode thermique, personne ne va mourir du fait de remonter ses testicules (rire).
Qu’en est-il de la certification d’une méthode thermique comme l’andro-switch, peutelle être commercialisée?
Officiellement, je ne peux ni vendre ni faire la promotion de l’anneau. Nous avons entamé un parcours réglementaire au niveau européen qui s’envisage sur le long terme. Des essais de sécurité commenceront mi-2025, nous visons la certification d’ici 2029-2030. Des dizaines de travaux sortent chaque année et sont tous plus rassurants les uns que les autres.
Comment menez-vous cette lutte pour la reconnaissance de cette méthode?
Je dédie la majeure partie de mon temps à diffuser cette méthode, à proposer des outils auprès d’acteurs locaux, à accompagner des professionnels de la santé de première ligne, des plannings familiaux, des chercheurs… J’interviens auprès de tous les publics dans le cadre de formations, de conférences et d’actions de sensibilisation. Je tiens à jour une plateforme solidaire sous forme de drive, qui répertorie tous les essais cliniques, les travaux de thèses, les articles, les statistiques… de façon à élaborer une véritable littérature scientifique et des informations exhaustives sur la contraception masculine au sens large. C’est une ressource importante pour les gens qui se questionnent, pour déconstruire certaines idées reçues et peurs infondées !
Vous avez eu l’occasion d’intervenir lors de la représentation du spectacle Show boulettes en janvier dernier à Dison. Quelles ont été les réactions?
Un fait marquant, c’est que ce sont surtout les personnes avec utérus qui posent des questions. Les hommes sont dans une posture plus attentiste. J’ai eu une remarque intéressante, quoiqu’un peu stéréotypée, de la part d’un homme qui est venu vers moi à la fin de l’intervention pour me faire part des risques avérés de cancer (selon lui) liés à la méthode thermique. Je vois régulièrement s’agiter ce fameux épouvantail des effets secondaires hypothétiques, qui n’existent pas par ailleurs. Selon moi, c’est une posture qui permet de rester dans une pratique confortable, qui ne remet pas en question les privilèges ni les responsabilités dans une prise en charge de la contraception plus équitable. C’est un véritable enjeu de société et cela prend du temps. Je pense justement que l’art – et cette pièce de théâtre en est un exemple – est un médium intéressant pour déconstruire certains stéréotypes.
ART ET SOCIÉTÉ
SHOW BOULETTES!
En janvier dernier, une troupe de théâtre amateur emmenée par l’animatrice Dorothée Lambinon, a proposé au Tremplin de Dison une création collective sur le thème de la contraception naturelle partagée. Retour avec Dorothée sur cette aventure humaine et théâtrale.
Ils et elles se rencontrent, s’aiment, se touchent, font l’amour, ont des enfants, ne veulent pas d’enfant, préfèrent attendre… qui se protège pour ne pas avoir d’enfant? L’homme? La femme? Pourquoi si souvent la femme? Ces quelques lignes servent d’introduction au spectacle Show boulettes, né de la rencontre de l’animatrice Dorothée Lambinon avec un groupe de personnes à la maison de quartier de Saint-Nicolas, à Liège: "Le Plan de Cohésion sociale de ce quartier m’a permis d’organiser des ateliers théâtre à destination d’adultes, à raison d’une fois par semaine. Après plusieurs mois d’improvisation théâtrale, j’ai proposé l’idée de mener à bien une création".
Le thème s’est présenté au groupe par l’intermédiaire d’une des participantes, sage-femme à la retraite, qui avait envie de partager au groupe son intérêt pour la question de la contraception naturelle, notamment masculine. "Tout le monde a été plutôt enthousiasmé par cette proposition, car ce thème permettait d’explorer des tranches de vie personnelle et d’évoquer des ressentis. Les 15 personnes du groupe ont commencé à créer leur personnage, en développant des expériences réelles ou imaginaires".
Dans cette pièce s’alternent des scènes qui évoquent la contraception au sens large : pilule, ligature des trompes, diaphragme, vasectomie, slip toulousain, andro-switch… "Il y a évidemment des diversités de points de vue sur le sujet dans la troupe, mais surtout une grande ouverture d’esprit. Cela a permis de laisser de la place au débat, sans jugement pour des considérations différentes des siennes. Nous avons partagé des réflexions qui sont de l’ordre de l’intime, pour mieux s’en détacher dans la pièce, et aborder le sujet de la contraception avec de l’humour, voire un côté burlesque dans certaines scènes."
La pièce a déjà été jouée 6 fois pour le tout public, Dorothée espère pouvoir poursuivre l’expérience, notamment auprès de publics scolaires: "Cela pourrait être intéressant de la diffuser auprès de jeunes adultes en sections sociales, ou des jeunes qui vivent sans doute déjà des relations intimes. Parler de relations sexuelles, de contraceptions, c’est dans l’ère du temps, mais cela demande tout de même de lever certaines résistances et certains tabous vers l’accès à cette connaissance."
CHIFFRES
ÉTAT DES LIEUX ET RÉFLEXION SUR LES MÉTHODES DE CONTRACEPTION
Il existe très peu d’enquêtes sur la contraception en Belgique. Toutefois, suite à la dernière enquête réalisée par Solidaris en 2017, 68 % des femmes déclarent utiliser un moyen de contraception en Belgique contre 33 % des hommes. Parmi ces hommes, 60 % citent le préservatif. D’autres chiffres intéressants Une femme sur deux se dit seule à décider de la contraception de son couple. Par ailleurs, si 39 % des hommes se disent prêts à utiliser une contraception testiculaire, 31 % sont opposés à cette contraception dite masculine. Du côté des femmes, 51 % seraient prêtes à laisser la charge mentale de la contraception aux hommes, 21 % s’y opposent et 25 % ne savent pas si elles accepteraient que la contraception de leur couple soit gérée par leur partenaire. De manière générale, la satisfaction sur la contraception diminue ces dernières années, principalement au sujet du préservatif externe, passant de 88 % à 76 % ainsi que la pilule, passant de 89 % à 84 %. La charge de la contraception est de plus en plus discutée au sein des couples. Avec l’âge, les hommes s’estiment de moins en moins impliqués dans la contraception du couple alors que ce taux ne varie pas fondamentalement avec l’âge parmi les femmes.
Source: www.o-yes.be
O’YES ASBL est une organisation de jeunesse qui a pour mission d’informer les jeunes de 15 à 30 ans sur la Vie relationnelle affective et sexuelle (VRAS) dans toute la Fédération Wallonie-Bruxelles