Être sans-abri ou sans-chez-soi signifie ne pas avoir de logement propre, et entraîne une série d’exclusions cumulées.

Autant en Flandre qu’en Wallonie, le principal problème des personnes sans-abris est le manque de logement à un prix abordable. Une étude a chiffré le phénomène du sans-abrisme et de l’absence de logement propre à la personne dans l’arrondissement de Verviers. Il en ressort que 1209 personnes sont concernées par cette problématique dans l’ensemble des 20 communes francophones constituant l’arrondissement (sur 19387 personnes en Wallonie).

Parmi ces personnes, on compte 833 adultes et 376 enfants ; 64 % d’hommes et 36 % de femmes, dont 63,5 % d’entre elles sont sans enfant à charge. Elles sont soit à la rue, hébergées dans des logements d’urgence, des foyers d’hébergement, en institution, chez des parents ou amis, ou encore dans des lieux non conventionnels.



Ces chiffres, impressionnants, ne rendent toutefois pas réellement compte de la réalité de terrain, et les sans-abris visibles dans l’espace public ne représentent qu’une mince partie de ce recensement. Comme nous l’explique dans l’interview ci-après Anne Delvenne, Coordinatrice du Relais social urbain de Verviers, la vie des personnes sans-abris se caractérise par une répétition de ruptures, de l’enfance à l’âge adulte. Cette problématique touche une grande diversité de personnes aux parcours bien différents.

Source: 1209 sans-abri ou "mal logés" dans l’arrondissement de Verviers, Olivier Thunus – RTBF, 4.04.2025

INTERVIEW
"LA SITUATION DU SANS-ABRISME EST PRÉOCCUPANTE À VERVIERS"
Anne Delvenne, Coordinatrice du Relais social urbain de Verviers



Présence: Quelles sont les missions du Relais social urbain de Verviers?

Anne Delvenne: Notre mission générale est de rassembler un réseau de partenaires à la fois publics et privés sur l’ensemble de l’arrondissement de Verviers, pour mener des actions concernant la lutte contre la grande précarité.

À quelles réalités votre Relais social fait-il face en termes de logement ou de mal-logement?

On constate qu’il est difficile de trouver des logements adaptés aux réalités des personnes. Nous avons dans l’arrondissement de Verviers un habitat plutôt vieillissant. Les inondations de 2021 ont été un facteur aggravant. Certaines habitations ont été rénovées ensuite, c’est plutôt positif, mais cela a dans le même
temps occasionné une augmentation conséquente des loyers. Des personnes ont ainsi été mises en difficulté et ne pouvaient pas assumer cette indexation.

Vous avez déclaré être en présence d’une "pluralité de précarités". Pouvez-vous nous expliquer ce que cela signifie?

Cette pluralité de précarités peut se traduire par le fait d’avoir une personne exposée à plusieurs problématiques: les assuétudes, les soucis de santé mentale, de santé physique… On ne sait pas toujours par quel chemin tenter de résoudre la situation, ces difficultés peuvent être interconnectées.

Par exemple, les gens souffrant d’assuétudes auront d’autres types d’obstacles dans l’accès au logement. Certaines personnes ne sont pas demandeuses d’aide
ou de toit, car avoir une adresse entraîne d’autres conséquences : récupérer les factures, peut-être des avis d’huissiers…

Dans la réalité de ces personnes, être domicilié quelque part ne constitue pas un réel avantage.

Et puis, avoir un logement n’est pas une garantie de stabilité, encore faut-il pouvoir le conserver, l’entretenir, y vivre de façon décente… Les accompagnements
psychologiques sont de réelles "portes d’entrée" pour débusquer des soucis liés au logement. La grande précarité est multiple.

Vous avez sorti pour la première fois un audit sur le sans-abrisme dans l’arrondissement de Verviers, pourquoi avoir souhaité apporter des données chiffrées sur cette problématique?

Cela a été un croisement de données entre plusieurs services et a demandé un long travail. Avant d’entreprendre cette opération de dénombrements de personnes sans toit, nous n’avions aucune vue statistique sur ces situations. C’est parti de ce que l’on pourrait qualifier d’intuitions et d’hypothèses formulées par les travailleurs et travailleuses de terrain tous secteurs confondus, celle d’une augmentation des personnes sans-abris, c’est-à-dire des personnes en absence de
toit. Cette dénomination inclut également les personnes qui ne vivent pas forcément dans la rue, mais qui sont hébergées par des tiers, des amis, des voisins, de la famille…

La vision stéréotypée et restreinte du sans-abrisme pourrait laisser penser qu’il est plus fréquent dans les grandes villes…

Verviers n’a effectivement pas la réputation d’avoir énormément de personnes sans-abris. L’audit de 2024 a pourtant permis de démontrer que la situation du sans-abrisme est plus préoccupante à Verviers par rapport à une ville comme Charleroi, en faisant une règle de proportion à l’échelle de la population.

Les grandes villes bénéficient de plus de structures d’aide pour faire face, plus de moyens d’accompagnement… Cela explique aussi les difficultés importantes à Verviers.

Quels sont les aléas de la vie qui peuvent conduire à ces situations?

Dans pas mal de cas, les personnes ont un passif institutionnel important. Avoir vécu en centre ou en maison d’enfants dès le plus jeune âge, ça ne donne pas
envie d’être cadenassé dans d’autres structures, dans des hébergements communautaires, avec des règles, des contraintes, des horaires… Certaines personnes ne peuvent pas vivre de manière "classique".

Pourriez-vous nous présenter l’un de vos projets pour lutter contre le sans-abrisme?

Le premier projet que nous avons mené en termes de logement s’appelle "Interface" en collaboration avec Logivesdre (NDLR: société de logements de service
public à Verviers). Il part du constat que bon nombre de personnes étaient en voie d’expulsion dans les logements publics. Cela pouvait être pour des soucis de voisinage, des carences administratives, des dégâts, etc. Il n’y avait pas de suivi ni d’accompagnement social et cela conduisait donc des gens vers des systèmes alternatifs d’hébergement, ou vers le sans-abrisme. Nous assurons le suivi individualisé de personnes pour qu’elles puissent être maintenues dans le logement.

Les fonctionnements évoluent, Logivesdre dispose désormais d’assistants sociaux, mais nous voyons tout de même l’importance pour ces locataires d’avoir un suivi organisé par une structure extérieure, plutôt que par un·e représentant·e du "propriétaire".

Quel est le défi le plus important auquel vous faites face en matière de logement?

Nous avons des partenariats beaucoup plus évidents avec le secteur public, les sociétés de logements sociaux, comme leur nom l’indique, ont pour vocation de
s’adresser à une population précarisée.

Notre grande difficulté est de convaincre des propriétaires privés de collaborer avec nous, en mettant leurs logements à disposition. Car, même si nous prenons
en charge l’accompagnement administratif, social, psychologique des locataires, nous ne pouvons pas garantir qu’il n’y aura aucun problème.

De plus en plus de personnes doivent faire appel à des réseaux d’aide en tout genre, pourrait-on dire que cela "déclasse" les situations les plus dramatiques?

On ne peut pas nier aussi une certaine forme de "concurrence" avec les agences immobilières sociales, par exemple, qui agissent également comme une interface entre des propriétaires privés et des locataires. Ce n’est évidemment pas une critique et c’est même assez compréhensible, les propriétaires préfèrent traiter avec ces agences qui placeront des personnes au chômage ou au CPAS, plutôt que des personnes souffrant de toxicomanie. Et je ne parle pas des discriminations basées sur la couleur de peau, ou sur le fait de ne pas parler français, encore très présentes dans l’accès au logement en général.



THÉÂTRE
"RUE DE LA JUNGLE", UNE PIÈCE QUI DONNE À RÉFLÉCHIR SUR LA VIE EN RUE



Le sans-abrisme, sujet peu traité au théâtre, est le thème de la dernière création du Théâtre des Vents doux, compagnie andrimontoise. Intitulée "Rue
de la Jungle", elle sera présentée pour la première fois au Tremplin de Dison le samedi 4 octobre. On y suit le parcours de Molly, abandonnée à la naissance et recueillie par la communauté de la rue…

Murielle Steckx, qui a assuré l’écriture et la mise en scène du spectacle, nous explique ses motivations: "J’ai beaucoup travaillé dans le secteur social, que ce soit dans le domaine de l’intégration, de l’insertion, de la demande d’asile… Je suis assez attentive aux notions de chez soi et d’abris. À travers cette pièce, il me semblait important de parler de l’invisibilisation de personnes sans toit".

Le livre de la jungle comme source d’inspiration

Rue de la jungle crée un parallèle avec le célèbre dessin animé du Livre de la jungle. "J’ai revu par hasard un extrait du film. Je me suis dit que, finalement, la rue, c’est aussi un peu la jungle parfois. Un petit monde qui s’autorégule, où il peut y avoir de la solidarité, mais aussi pas mal de dangers. J’ai écrit cette pièce pour 9 comédien·nes, qui incarnent des personnages avec des caractéristiques similaires à celles du dessin animé".

Elle poursuit: "Quand j’écris une pièce, j’aime partir d’éléments narratifs plus légers pour aborder des thématiques sociales. C’est d’ailleurs vraiment ce qui caractérise le Théâtre des Vents doux, insuffler des réflexions, éveiller les consciences, sans prendre le public de front".

Un spectacle tout public

La pièce adopte d’ailleurs un ton résolument gai, qui permet plusieurs degrés de lectures: "Il n’y a pas d’aspect dramatique dans le spectacle, mais beaucoup d’éléments en phase avec mes convictions transparaissent, comme le souci du manque de places dans les abris de nuit, les barres de fer qui apparaissent sur les bancs publics, le fait que les personnes à la rue manquent de considération de la part des politiques et des citoyen·nes en général. Ces éléments interviennent
dans les dialogues mine de rien, mais ils ne sont pas anodins".

Une mise en scène dynamique

Comme mentionné plus haut, 9 comédien·nes occupent la scène, mais Murielle aimant mélanger les genres, d’autres interventions rythment le spectacle: "Un orchestre composé de trois musiciens (guitare, saxophone et percussions) est présent tout au long de la pièce. Il y aura des chants, certains adaptés du film original, ainsi que de la danse. C’est une mise en scène intense! Je crois que le public ne verra pas le temps passer, qu’il sera emporté par l’histoire et la dynamique de cette création".

Autre petit clin d’œil scénographique au niveau des décors, des œuvres d’artistes issus de la province de Liège sont disposées sur scène. 

Prochaines dates

Samedi 4.10.25 > 20 h > Dison
Réservations: 087 33 41 81 | www.ccdison.be

Samedi 18.10.25 > 20 h > Centre culturel de Soumagne
Réservations: 0492 42 27 88 | www.ccsoumagne.be

Jeudi 6.11.25 > 20 h > La Courte Échelle (Liège)
Réservations: 04 229 39 39 | www.courte-echelle.be