À l’heure où nous bouclons ce numéro, de nouvelles mesures de confinement ont été annoncées par le Conseil National de Sécurité pour éviter la propagation du coronavirus. Hasard du calendrier, le dossier du mois se penche sur la portée des images et du cinéma. L’association peut sembler hasardeuse, mais alors que nos habitudes de vie sociales et économiques se voient chamboulées, le cinéma pourrait se révéler un allié de choix pour traverser cet épisode que l’on dit déjà historique et dont le happy end reste en suspend.
Culture
L'histoire sans fin
Le cinéma est un média attractif, séduisant même. Peut-être qu’à sa simple évocation, l’odeur du pop-corn et le fauteuil rouge cossu ont envahi votre imaginaire de spectateur·trice. Dans un élan de nostalgie, vous vous êtes peut-être à l’instant remémoré l’un des derniers films que vous ayez vu, ou avez, pourquoi pas, pensé à la tension ambiante lors de la dernière cérémonie des Césars.
Le cinéma, au même titre que le théâtre ou d’autres formes d’art, est parfois perçu comme un énième – le 7e – produit de consommation, mais aussi comme un vecteur de symboles universels ou personnels, une toile sans fin que l’on peut recouvrir à l’envi de nouvelles références, de nouvelles icônes.
Connaissant la fascination que peut exercer l'image sur nos perceptions, quelle peut être la place du cinéma dans une perspective éducative?
Plus qu’un simple prétexte pour parler de choses qui le dépassent ou qu’il illustrerait simplement, le film ne pourrait-il pas être considéré comme un interlocuteur à part entière? Comme un espace de dialogue avec les spectateurs·trice·s?
En résumé, le cinéma ne serait-il pas une façon de se distancer du réel pour mieux l’appréhender?
Alors que le projet L’Écran est à vous se profile, Présence vous propose d’aller au-delà de l’image qui s’imprime sur la rétine.
Inspiration: grignoux.be
Interview
"Susciter plus de questions que de réponses"
Rencontre avec Patrick Séverin, journaliste de formation, réalisateur et producteur . Il vit et travaille à Liège où il s’attache à raconter des histoires sous des formes narratives innovantes au sein de l’ASBL Instants Productions .
Peux-tu présenter Instants Productions?
Instants Productions est né en 2007, ça a démarré avec l’envie de monter des projets liés à l’audiovisuel. Le premier projet, c’était un court-métrage de fiction, le second, un documentaire. À partir de là, la structure s’est développée et elle existe toujours aujourd’hui, avec une dimension à la fois documentaire, cinématographique ou liée aux nouveaux médias, aux nouvelles formes de narrations.
Les sujets viennent-ils de l’extérieur ou partent-ils d’une volonté qui vous est propre?
Ça dépend, nous avons mené des projets coups de cœur et puis parfois, nous partons de besoins, ceux d’institutions par exemple. Ce qu’on aime faire, c’est voir l’opportunité derrière ce qui pourrait n’être qu’une commande. Nous avons par exemple réalisé un documentaire sur la pédagogie active "Sortir du rang" au sein de l’Athénée de Waha à Liège, alors qu’à l’origine, l’école souhaitait juste un petit film de fancy-fair!
J’ai lu que par votre travail, vous souhaitez impacter le réel, que voulez-vous dire par là?
Notre posture n’est pas celle de l’artiste, mais plutôt du journaliste. Notre capacité, c’est de rebondir sur le réel, d’en saisir les potentialités et l’intérêt pour le public de le raconter autrement. Nous n’avons pas la prétention d’amener des réponses, généralement ce que l’on produit suscite surtout des questions ! Dans une société de consommation, ramener un peu de doutes, de questionnements, de citoyenneté en fait, c’est ce qui nous botte.
Même dans le réel, il y a donc aussi une histoire à construire?
Oui, si tu n’as pas d’histoire, tu n’intéresses pas les gens, il faut trouver la trame, la dessiner. C’est ce qui fait la différence entre le journalisme et le cinéma, tu ne fais pas que capter le réel, tu captes avec tes yeux et avec tes sens et tu dois faire en sorte que la personne qui sera derrière son écran capte la même chose. Et ce n’est pas seulement en le filmant que ça fonctionne. Sans dramaturgie, il n’y a pas de récit. Tout choix que tu poses avec ta caméra a un impact, rien ne doit être gratuit, tout n’est qu’intentions finalement. Il faut toujours être clair aussi sur le fait qu’un documentaire n’est jamais le reflet du réel, mais le reflet de l’œil du réalisateur. C’est pareil pour le journalisme d’ailleurs, sauf qu’on ne se l’avoue pas!
Le journalisme serait donc aussi subjectif?
Le choix de l’info que tu décides de traiter est déjà influencé par qui tu es. Je ne dis pas qu’il ne faut pas de déontologie et qu’il ne faut pas respecter certaines règles, mais je trouve que le web a vraiment fait tomber le masque du journalisme. Je suis pour la subjectivité assumée et la transparence du point de vue. L’intérêt du documentaire est de présenter un point de vue, après il est soumis à la critique, on en discute. Quand les choses sont présentées comme la vérité ou comme la réalité, il n’y a rien à débattre, c’est fermé, hors ça n’existe pas ! En matière d’éducation permanente, ça soulève la question de l’éducation aux médias, c’est un gros défi de maintenant.
Pourquoi la vidéo et le cinéma sont des supports intéressants dans une perspective éducative?
Ils le sont d’autant plus maintenant que la production s’est démocratisée, tout le monde peut prendre son téléphone, filmer quelque chose et faire un petit montage. La vidéo ne se limite plus à un outil de distribution de la bonne parole, mais peut devenir un outil de créativité, d’échange, de base au débat. Et inévitablement, en créant tes propres contenus, tu fais de l’éducation aux médias, tu comprends comment ça fonctionne et tu es potentiellement moins facilement dupé·e par d’autres productions médiatiques.
Quel conseil donnerais-tu à celles et ceux qui voudraient se lancer dans la réalisation ou dans la vidéo?
Je n’ai pas vraiment de conseil, juste dire qu’à l’heure actuelle, il suffit d’un téléphone pour faire de la vidéo, alors qu’on le fasse, qu’on se fasse plaisir ! Et même si au début ça ne semble servir à rien, si c’est juste pour faire des blagues, peut-être qu’à un moment ça finira par prendre du sens. C’est comme ça que nous avons commencé Instants Productions !
Infos
0479 40 38 54 | Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. | instantsproductions.be | horszone.be
Le film marquant de Patrick Séverin
"J’ai serré la main du diable, un film canadien sur l’histoire de Roméo Dallaire, le général des Casques bleus au Rwanda. Je vivais à Montréal en 2007 et je suis allé voir ce film par hasard. C’est là que j’ai appris que les Belges avaient créé au Rwanda la carte d’identité ethnique, qui donnait le droit de vie aux Hutus et la mort aux Tutsis. J’étais journaliste, j’avais 26 ans et ça m’a choqué qu’il ait fallu que je me retrouve au Canada dans une salle de cinéma commerciale pour apprendre une part si importante de mon histoire. Ça a été à la base de mon premier film Des cendres dans la tête, donc on peut dire qu’il a sans doute été un film pivot, pas par sa qualité cinématographique, mais par le choc que ça a provoqué chez moi. Ce film n’a jamais été montré en Belgique par ailleurs, c’est intéressant de le voir!"